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Tadjikistan-Kirghizistan : les frontières aggravent la misère et les conflits
Fin avril, début mai, le Tadjikistan et le Kirghizistan, deux anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, se sont à nouveau affrontées dans une région frontalière contestée. Aux heurts entre des civils ont vite succédé des tirs entre les deux armées.
Le bilan provisoire des combats, les plus violents depuis que l’URSS a disparu en 1991, est de plusieurs dizaines de morts, de centaines de blessés et de 11 500 personnes déplacées. Cela du seul côté kirghize, car l’autre camp n’a fourni aucun chiffre sur les victimes tadjikes.
Après une première trêve non respectée, ce bilan risque encore de s’alourdir. Et personne ne fait semblant de croire qu’une énième rencontre entre dirigeants tadjiks et kirghizes puisse éliminer les motifs de tension entre les peuples qui se partagent la région.
Kirghizes, Tadjiks et Ouzbeks notamment vivent depuis des siècles, et de façon étroitement entremêlée dans la vallée de Ferghana très peuplée (11 millions d’habitants) qui vient de se réenflammer. Mais la fin de l’URSS a vu s’ériger des frontières plus ou moins hermétiques entre ces populations, là où il n’y en avait pas. Dans cette mosaïque de nationalités située au cœur de l’Asie centrale, des populations se sont trouvées discriminées, marginalisées dans des États qui, se voulant celui de l’ethnie majoritaire, n’ont cherché à s’affirmer que contre « les autres ».
Là où les divisions et subdivisions de l’URSS n’avaient de signification qu’administrative et n’entravaient pas la circulation des personnes, des troupeaux et des marchandises, il y a maintenant de nombreuses enclaves sans continuité territoriale avec l’État dont elles dépendent. Ainsi, un des motifs du conflit actuel est que les autorités tadjikes auraient coupé la liaison entre une de ces enclaves kirghizes et le reste du Kirghizistan.
Les deux pays contestant un tiers du tracé de leur frontière, c’est l’accès à l’eau et aux terres de la fertile vallée de Ferghana qui est en jeu, un accès que les nouvelles barrières étatiques ne permettent plus comme avant, voire interdisent à certaines populations.
Les dirigeants des régimes autoritaires, sinon dictatoriaux et mafieux, qui tiennent la région en tirent prétexte pour faire croire à « leur » peuple, qu’ils le défendent contre ses voisins, à l’extérieur comme à l’intérieur. Ils espèrent ainsi qu’un nationalisme belliqueux et revanchard lui fera oublier pourquoi il s’enfonce dans la misère. Car, si le Tadjikistan et le Kirghizistan sont pauvres, très pauvres, leurs castes dirigeantes affichent un enrichissement éhonté fait de l’accaparement des richesses minérales du pays, de la corruption à grande échelle, comme du contrôle des trafics de drogue et d’armes.
Dans la série des conflits ethniques intérieurs et transfrontaliers qui ensanglantent périodiquement la région depuis trente ans, nul ne sait lequel pourrait mettre le feu aux poudres. Mais il est certain que l’aggravation de la crise mondiale, le pillage des quelques richesses exportables de ces pays par les trusts des grandes puissances, l’appauvrissement brutal des populations, les frontières tracées dans la chair des peuples, et la rapacité des régimes en place ont fait de l’Asie centrale un enfer explosif pour leurs classes laborieuses et exploitées.