9 janvier 1905 : le Dimanche rouge de Saint-Pétersbourg22/01/20252025Journal/medias/journalnumero/images/2025/01/une_2947-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C0%2C1271%2C1649_crop_detail.jpg

il y a 120 ans

9 janvier 1905 : le Dimanche rouge de Saint-Pétersbourg

Dimanche 9 janvier 1905 – 22 janvier dans le calendrier occidental – le tsar Nicolas II faisait mitrailler une manifestation ouvrière à Saint-Pétersbourg venue « chercher justice et protection » en lui adressant une pétition. La classe ouvrière prenait conscience dans sa chair que « notre petit père le tsar » était en réalité « Nicolas le sanglant ». La révolution russe démarrait.

La guerre entre la Russie et le Japon commencée en février 1904 a accéléré la contestation populaire. Un million d’hommes sur les 150 millions que comptait cet immense empire avaient été mobilisés. Ce qui n’empêchait pas la guerre d’être un fiasco sanglant pour la Russie, détruisant au passage la fiction d’un régime tout- puissant.

Un régime arriéré et réactionnaire

A l’aube du 20e siècle, l’autocrate Nicolas II prétendait détenir son pouvoir de Dieu en personne. Corruption, bêtise crasse, régime du bagne, du pogrom et de la nagaïka, le fouet des cosaques, caractérisaient un État protecteur des nobles et de l’Église orthodoxe. Constitution, droit de vote, suffrage universel sonnaient comme des insultes aux oreilles de l’empereur et de sa caste. L’abolition du servage en 1861 n’avait émancipé les paysans ni de l’exploitation la plus féroce ni du brouillard répandu par les popes et l’alcool.

Mais la Russie tsariste était un baril de poudre prêt à exploser, parfois au sens propre. Deux ministres de l’Intérieur successifs avaient été victimes d’attentats entre 1902 et 1904. Quant aux explosions de révolte dans les campagnes, le régime y répondait en lâchant les cosaques sur les villages.

Seulement, la Russie de 1900 n’était plus celle de l’abolition du servage. Financiers britanniques et français avaient apporté leurs capitaux et ouvraient des usines en Russie. La bourgeoisie russe se renforçait, au point de s’autoriser à rêver d’une Constitution, d’un régime parlementaire, en clair d’un État plus sensible à ses intérêts. À l’automne 1904, elle initia une campagne de banquets et de pétitions. La classe ouvrière s’engouffrait dans son sillage par des manifestations de rue. Quand le ministre de l’Intérieur brandit le poing et menaça de faire tirer sur les manifestations, cela suffit à calmer les ardeurs de la bourgeoisie libérale. Mais pas à éteindre l’agitation dans les usines et les quartiers ouvriers de Saint-Pétersbourg.

Une classe ouvrière combative

Le développement industriel avait engendré un prolétariat peu nombreux – quelque trois millions d’ouvriers dans l’industrie – dispersé dans quelques centres industriels, mais jeune et vigoureux. À Saint-Pétersbourg, les usines parmi les plus grandes et les plus modernes du monde arrachaient le prolétariat au Moyen-Âge russe. Dans cette jeune classe ouvrière, les croyances religieuses et les préjugés étaient très répandus. L’alcoolisme et la brutalité des mœurs – en particulier vis-à-vis des femmes – faisaient des ravages. Ce qui n’empêchait pas les militants du Parti ouvrier social-démocrate (POSDR), officiellement fondé en 1898, de défendre leurs idées et même de gagner en influence.

La férocité de l’exploitation patronale, les journées de 14 heures de travail, les salaires de misère expliquaient la combativité ouvrière. Depuis les grandes grèves dans l’industrie textile en 1896 à Saint-Pétersbourg, la classe ouvrière n’avait jamais cessé de se battre. Les grèves prenaient un caractère politique à cause des heurts avec l’armée, et le déchaînement policier contre les meneurs, souvent socialistes. Mais les travailleurs n’avaient jamais vécu une expérience commune sur une large étendue de l’empire. Durant l’hiver 1904, les grèves dans l’industrie pétrolière du Caucase et dans les villes d’Ukraine constituèrent le prologue à la grève qui allait paralyser la capitale en janvier 1905, puis s’étendre à une large partie de la classe ouvrière du pays.

Un sanglant apprentissage politique

En plus de la répression, pour combattre l’influence socialiste dans les rangs ouvriers, la police politique initia dans la capitale la Société des ouvriers russes des fabriques et des usines. L’association, légale, était soi-disant apolitique, en fait tout à fait monarchiste. Son but était de contenir les travailleurs à des revendications économiques. Un pope, Gapone, en était la figure centrale.

En décembre 1904, alors qu’elle comptait déjà 10 000 adhérents, chacune de ses réunions devenait un meeting et les premières grèves, ponctuelles, éclataient. Quatre ouvriers de l’usine d’armement Poutilov, membres de la Société, furent licenciés. Ce fut l’étincelle. Le 3 janvier, les 12 500 ouvriers de Poutilov se mirent en grève et firent le tour du faubourg industriel. Le 7 janvier, on comptait 150 000 grévistes dans la capitale, le double la veille du Dimanche rouge.

Gapone fut l’auteur de la pétition et proposa de la porter au tsar. Elle était discutée et signée dans des assemblées de grévistes. Toutes les revendications ouvrières s’y trouvaient exprimées, de la journée de 8 heures à l’exigence d’une Assemblée constituante. La situation avait changé du tout au tout en quelques jours. La classe ouvrière avait trouvé la voie pour s’exprimer.

Malgré cela, pour la grande majorité des travailleurs, le tsar demeurait une figure religieuse, paternelle. À l’unisson de Gapone, ils suppliaient le tsar : « Nous n’avons plus de force, sire ! Notre patience est à bout. Le moment terrible est venu pour nous, où mieux vaut la mort que la poursuite de cette torture insupportable. »

Le 9 janvier au matin, 150 000 travailleuses et travailleurs envahissaient les rues de la capitale, portant des icônes, chantant « Dieu sauve le tsar ». Devant le palais d’Hiver, la troupe tira de longues salves, tuant par centaines, blessant par milliers. La répression dura plusieurs jours. Le massacre visait à étouffer dans le sang la contestation ouvrière. L’inverse se passa.

Une vague de grèves

Au lendemain du 9 janvier, des travailleurs affrontèrent l’armée à Saint-Pétersbourg. La grève continua de paralyser la ville jusqu’au 17 janvier. Une vague de grèves déferla pendant deux mois sur 122 villes, dont Moscou et sa région quadrillée par la troupe. Un million de travailleurs firent grève.

C’était la première fois à l’échelle des bassins industriels de la Russie et la première étape de la révolution de 1905, dans laquelle la classe ouvrière joua le rôle moteur, en « seule classe révolutionnaire jusqu’au bout », comme l’écrivait Lénine en 1904. Une classe qui, en quelques mois, évolua de la vénération du tsar à la formation à l’automne 1905 du Soviet (le Parlement ouvrier) de Saint-Pétersbourg, candidat de fait à l’exercice du pouvoir révolutionnaire. Le pope Gapone avait disparu, laissant la place aux militants du POSDR à la tête de la classe ouvrière. Nicolas le Sanglant avait été un puissant agent révolutionnaire pour le prolétariat.

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