Algérie-France : les tensions et leur instrumentalisation15/01/20252025Journal/medias/journalnumero/images/2025/01/une_2946-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1262%2C1644_crop_detail.jpg

Leur société

Algérie-France : les tensions et leur instrumentalisation

Six influenceurs algériens ont été arrêtés pour « propos haineux » sur les réseaux sociaux. L’un d’entre eux, Doualemn, qui appelait à frapper un opposant au régime algérien, a été expulsé vers l’Algérie, puis renvoyé en France, et les tensions se sont accrues entre les deux pays.

En 2022, en visite en Algérie, Emmanuel Macron promettait une nouvelle ère dans les relations franco-algériennes. Mais, en reconnaissant le 31 juillet dernier la souveraineté du Maroc sur l’ex- colonie espagnole du Sahara occidental, le président français ouvrait une crise diplomatique inédite avec l’État algérien. Celui-ci se dit le défenseur du peuple sahraoui, mais il est surtout préoccupé par la montée en puissance du Maroc, avec lequel il est en rivalité pour la conquête des marchés africains et le rôle de première puissance régionale. Les revers essuyés par l’impérialisme français au Sahel ont conduit celui-ci à rompre sa relative neutralité sur cette question. Outre la possibilité d’exploiter les importantes ressources minières du Sahara occidental, le Maroc pourrait être une base arrière française et une porte d’entrée pour continuer à défendre ses intérêts vers les pays du Sahel.

Cette politique ne pouvait qu’entraîner des réactions du régime algérien qui, de 2013 à 2022, au nom de la lutte contre le terrorisme, a notamment permis à l’armée française déployée au Mali de mener l’opération Barkhane. Dans une collaboration discrète, jamais revendiquée de part et d’autre, l’Algérie lui a apporté un soutien logistique en fournissant l’eau, le carburant, ainsi que le partage de renseignements et sa connaissance du terrain. Il a également joué le rôle de garde-frontières en refoulant des dizaines de milliers de migrants subsahariens vers le Niger, sans les contreparties financières versées par l’UE à ses voisins tunisien et marocain.

La surenchère de déclarations de la droite et du RN décrivant le régime algérien comme arrogant à l’égard de la France ne pouvait qu’attiser les tensions. Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, y a ajouté sa propre provocation en ordonnant une expulsion qui lui est revenue comme un boomerang, mettant à mal sa posture de fermeté. Vexé, il a affirmé aussitôt que l’« Algérie cherche à humilier la France » et qu’il fallait « évaluer tous les moyens à notre disposition vis-à- vis de l’Algérie pour défendre nos intérêts ». Jordan Bardella, lui, a appelé au nom du RN à la suspension des visas pour les ressortissants algériens ainsi qu’à celle des transferts de fonds de la diaspora algérienne vers leur pays. L’ancien député socialiste Julien Dray y est aussi allé de son petit couplet : « Ça fait 50 ans que les gouvernements reculent face aux menaces de l’Algérie. »

Le pouvoir algérien, quant à lui, se défend d’avoir voulu humilier la France et dit n’avoir renvoyé Doualemn que pour lui permettre de répondre aux accusations portées contre lui dans un pays où il vit depuis 36 ans. Il dit de plus que Retailleau n’a respecté aucune règle, n’ayant pas pris soin d’informer les autorités algériennes de l’expulsion.

De part et d’autre de la Méditerranée, les deux pouvoirs attisent les tensions et les mettent en scène comme un dérivatif au mécontentement social et politique, au moment où l’un et l’autre traversent des crises politiques majeures. En Algérie, le pouvoir se sert de la mémoire de la guerre d’indépendance contre la puissance coloniale française pour asseoir sa légitimité. En France, après l’arrestation à Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal pour ses propos concernant les frontières entre le Maroc et l’Algérie, nombre de politiciens se posent en défenseurs de la liberté d’expression.

Cette brouille mise en scène entre les dirigeants des deux pays, au moment ils mènent une guerre sociale féroce à leur propre population, leur sert de dérivatif. Pour les travailleurs, en Algérie comme en France, cet affrontement n’est pas le leur.

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