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Syrie : la Turquie à l’offensive
Les 8, 9 et 10 janvier, l’armée turque a bombardé plusieurs villages et villes du nord-est de la Syrie, région autonome kurde contrôlée par les Forces démocratiques syriennes (FDS) depuis 2013 et où résident 4 millions d’habitants et l’essentiel de la population kurde du pays.
« Depuis plus de 25 jours des centaines d’obus traversent le ciel de notre village », témoignait un habitant de cette région – le Rojava pour les Kurdes – qui s’étend des frontières de la Syrie avec l’Irak et la Turquie jusqu’aux rives de l’Euphrate. Le pouvoir turc profite de la chute d’Assad pour avancer ses pions vers l’est de la Syrie en s’appuyant sur des bandes armées regroupées sous l’étiquette d’Armée nationale syrienne, qu’elle soutient et qu’elle arme. Début janvier, celles-ci ont assiégé Kobané, cette ville où, en 2015, les milices kurdes des Unités de défense du peuple (YPG) avaient réussi à faire reculer l’organisation État islamique (EI). Ces derniers mois, les combats se sont intensifiés obligeant plus de 100 000 personnes à fuir. Depuis le début décembre, au moins 322 personnes seraient mortes pour la seule région située entre Manbij et Kobané, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.
Cela fait des années qu’Erdogan s’oppose farouchement aux milices kurdes syriennes, qu’il considère comme des groupes terroristes liés au Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, qui milite au sein des Kurdes de Turquie. Il cherche en fait à empêcher la réunification des zones kurdes syriennes et à imposer une zone tampon à sa frontière. Pour ce faire, il a même aidé, dans un premier temps, les milices de l’EI, autrement dit Daech, les laissant s’entraîner sur son sol et s’infiltrer en Syrie. Les États-Unis, en guerre contre l’EI, ayant fait le choix de s’appuyer sur les milices kurdes des YPG, la Turquie a fini par changer son fusil d’épaule, et par participer à la même coalition contre l’EI. Elle ne pouvait pas alors s’opposer aux États- Unis dont elle est l’alliée dans la région, politiquement, et en tant que membre de l’OTAN. Mais Erdogan a continué à mener son propre jeu en finançant d’autres bandes armées, comme celles d’Hayat Tahrir al- Cham (HTC, aujourd’hui au pouvoir) et bien d’autres.
Quant au soutien affirmé de l’impérialisme américain à la population kurde, il ressemble à celui de la corde qui soutient le pendu. « La Turquie mérite d’avoir une zone tampon démilitarisée entre elle et le nord-est de la Syrie pour protéger ses intérêts », a ainsi déclaré le sénateur républicain Lindsey Graham. Début décembre, les États-Unis négociaient le départ des milices kurdes syriennes de la ville de Manbij, située à 40 kilomètres de la frontière turque, sorte de feu vert à l’élargissement de la zone tampon. Cela en dit long sur la confiance que les Kurdes syriens peuvent accorder aux promesses des États-Unis de sanctionner la Turquie en cas d’exactions envers eux. Quant aux assurances du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, données le 3 décembre, d’œuvrer pour une prétendue « solution politique » avec les « alliés de la France que sont les Kurdes », qui peut y croire ? Quant aux 900 soldats américains encore présents en Syrie, ils ne sont évidemment pas là pour défendre les habitants terrifiés par les bombes mais pour protéger des intérêts économiques – la région est riche en pétrole – et garantir la domination de l’impérialisme avec l’appui de puissances régionales telles que la Turquie. Pour la population, la guerre n’est pas près de se terminer.