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- Lutte de Classe n°245
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Une rencontre des secteurs ouvriers de Lutte ouvrière et Lotta comunista - Paris, 12 et 13 octobre 2024
Les 12 et 13 octobre 2024 s’est tenue à Paris une rencontre entre travailleurs militants de l’organisation italienne Lotta comunista et de Lutte ouvrière, dans le but d’échanger leurs expériences et leurs pratiques d’intervention. On trouvera ici les résumés de cette rencontre et des problèmes qui y ont été posés, tels qu’ils ont été établis par chacune des deux organisations.
Le texte de Lotta comunista
Face aux guerres de la crise de l’ordre, alors que le réarmement mondial a commencé partout, les internationalistes doivent travailler sur tous les fronts pour l’unification de classe, contre tous les nationalismes, grands et petits.
La Chine, nouvelle superpuissance impérialiste, pose des problèmes aux vieilles puissances, de la concurrence dans des secteurs de pointe comme l’électronique et l’industrie automobile à la lutte pour un nouveau partage des sphères d’influence.
En Europe, les patrons font de plus en plus pression pour accroître la compétitivité du Vieux Continent sur les terrains industriel, politique et militaire. L’exploitation cynique et le racisme sont utilisés en abondance contre les jeunes travailleurs qui viennent du monde entier dans nos pays.
La lutte pour enraciner des positions internationalistes solides au sein de la classe ouvrière européenne est la seule ligne de défense contre les politiques de l’impérialisme.
Un dialogue, une réflexion collective, un échange d’expériences entre travailleurs internationalistes, une discussion sur les initiatives de lutte en cours, tant au niveau syndical que politique, peuvent constituer une graine féconde pour les défis actuels et à venir.
C’est cette recherche d’un échange d’expériences et d’une réflexion collective qui nous a poussés à organiser la rencontre, à laquelle ont participé des camarades qui travaillent dans l’industrie, les transports, les télécommunications et la santé.
L’esprit de la rencontre a été, de l’avis de tous, positif, fondé – comme l’a fait remarquer une des interventions – sur l’objectif partagé de construire une organisation révolutionnaire dans une situation qui n’a rien de révolutionnaire.
Une autre intervention à la fin de la rencontre a mis en évidence des éléments communs dans le travail militant et dans l’abnégation de ceux qui s’y investissent, bien qu’avec des différences dans les méthodes et les activités, et même dans les contenus.
De nombreuses interventions ont souligné le caractère central du travail politique, même dans les lieux de travail, sur les thèmes de la situation internationale, sur laquelle il n’a été possible d’esquisser qu’une analyse en très grandes lignes. L’importance du thème de l’unité des prolétaires de tous les pays, comme seule force capable de sortir l’humanité de la barbarie des guerres continuellement générées par l’impérialisme, a été mise au premier plan.
Pour mettre fin aux massacres au Moyen-Orient, de même qu’à la guerre en Europe, la position commune est que nous devons œuvrer pour l’unité des travailleurs arabes, palestiniens et israéliens, ainsi que des travailleurs russes et ukrainiens, contre toutes les manœuvres et les intrigues bourgeoises.
Dans cette clé de lecture, on a rappelé, d’une part, l’exemple de la grève lancée par la Fiom de Gênes contre la guerre en Ukraine ; d’autre part, on a également souligné l’importance des liens internationalistes avec les travailleurs immigrés qui, dans de très nombreuses situations – les exemples des chantiers navals, tant à Saint-Nazaire qu’à Sestri Ponente sont clairs –, travaillent aux côtés des travailleurs « autochtones » : si, à Saint-Nazaire, une relation s’est développée avec les ouvriers détachés, les camarades de Lotta comunista, à Sestri et au-delà, expérimentent de façon efficace, parallèlement aux luttes pour l’amélioration des conditions de travail, les instruments des cours d’italien langue étrangère et du bénévolat de classe. Concernant ces expériences, il y a eu des discussions, sans cacher les doutes, mais avec l’intention d’en comprendre les motivations et les résultats.
Une discussion similaire a eu lieu sur les considérations qui ont émergé dans de nombreuses interventions des camarades de Lutte ouvrière concernant l’utilisation des campagnes électorales, ainsi que sur les outils de propagande et d’agitation : nous avons des expériences différentes concernant la conduite des campagnes politiques, les modalités de diffusion du journal politique, même par rapport aux formes d’autoritarisme dans les entreprises, ainsi que son rôle d’organisateur collectif dans la construction de sphères d’influence de notre politique.
Un thème développé sous de nombreux angles a également été celui des instruments pour dialoguer avec les sympathisants et les rendre actifs : dans l’expérience des camarades de Lutte ouvrière, les bulletins d’entreprise jouent un rôle important, avec l’invitation aux initiatives de propagande et aux fêtes du parti ; dans celle des camarades de Lotta comunista, le rôle des cercles ouvriers est central, où toutes les activités et tous les secteurs de la vie du parti s’entrelacent et s’organisent, notamment avec un travail systématique d’invitation aux réunions politiques ; certains camarades plus jeunes ont souligné le lien entre l’activité estudiantine et leur expérience ultérieure en usine.
Il y a eu de nombreux débats sur la nature des syndicats aujourd’hui et sur l’utilisation que les révolutionnaires peuvent en faire : du côté des camarades de Lutte ouvrière, on parle des syndicats comme d’une institution bourgeoise, tandis que, pour Lotta comunista, il s’agit d’un instrument de classe où se déroule une bataille pour en prendre la direction, à travers laquelle les révolutionnaires peuvent contrer son utilisation par les bureaucraties sociales-impérialistes.
D’ailleurs, nous partageons l’expérience du syndicat en tant que milieu vers lequel le travailleur a tendance à s’orienter, tout comme le fait qu’il est plus fréquent aujourd’hui que des révolutionnaires se retrouvent à occuper des postes de responsabilité syndicale.
Diverses expériences pratiques de lutte ont été rapportées dans le débat, de la lutte contre la fermeture de Fincantieri à Sestri Ponente à celle menée à l’occasion de la fermeture du site PSA d’Aulnay, à partir de laquelle, en particulier, les camarades de Lutte ouvrière ont développé le concept du comité de grève ; sa signification, ainsi que sa relation avec l’assemblée des grévistes et le rôle de la grève comme un apprentissage et une « école de guerre » ont été longuement discutés, même avec quelques suggestions d’étude historique approfondie ; ainsi, la discussion a également porté sur le processus de formation de la conscience révolutionnaire, à travers l’expérience de la lutte syndicale et la connaissance des rapports entre toutes les classes de la société bourgeoise.
L’esprit du débat, si l’on tente d’en faire un premier bilan, peut peut-être être synthétisé, outre les interventions mentionnées au début, dans les considérations faites par le camarade de Saint-Nazaire et par d’autres sur le fait qu’aucun des instruments que nous pouvons utiliser, des campagnes électorales à la lutte au sein des syndicats, des cours d’italien pour immigrés au bénévolat de classe, ne peut être sans risque : c’est aussi pour cette raison qu’une discussion positive et franche sur les expériences et les réflexions respectives est utile et doit être poursuivie.
C’est sur cet engagement de continuer que s’est terminée cette première rencontre.
Les travailleurs de Lotta comunista
Le texte de Lutte ouvrière
La rencontre entre militants ouvriers des deux organisations, Lotta comunista et Lutte ouvrière, des 12 et 13 octobre, a permis à une trentaine de camarades des deux pays et de différents secteurs de l’industrie, des transports, des télécommunications et de la santé, de faire connaissance et de discuter de leurs pratiques militantes.
Ces deux journées n’avaient pas pour objectif de discuter des nombreux désaccords entre les deux organisations sur la situation politique et les tâches qui en découlent pour les communistes révolutionnaires. Ainsi, les divergences d’appréciation quant à la caractérisation de la Chine par exemple, ou sur la question nationale telle qu’elle se pose au Moyen-Orient, si elles ont pu faire l’objet de discussions informelles, n’étaient pas à l’ordre du jour des réunions.
Elles ne sont évidemment pas sans rapport avec l’histoire différente des deux organisations, Lutte ouvrière se référant au programme trotskyste alors que Lotta comunista s’affirme « léniniste ». Sans ignorer l’importance de ces différences, le choix fait dans cette rencontre était de les aborder à partir de leurs conséquences pratiques.
L’ordre du jour des deux demi-journées de réunion se concentrait donc sur la question de l’intervention politique et syndicale des militants révolutionnaires dans les entreprises, ainsi que de leur intervention dans les luttes.
Sur chacun de ces thèmes, les camarades des deux organisations ont pu constater à la fois leurs préoccupations communes et leurs divergences sur le rôle politique du parti révolutionnaire et les moyens de le construire. Car si l’objectif, commun et difficile à atteindre, est l’implantation des idées communistes révolutionnaires dans les entreprises dans une période de profond recul du mouvement ouvrier, les pratiques révèlent des conceptions différentes sur la manière d’organiser des travailleurs autour des militants.
L’activité de bénévolat « de classe » des camarades de Lotta comunista en a été un exemple frappant pour les camarades de Lutte ouvrière. De nombreux militants de Lotta comunista ont en effet présenté ce bénévolat (notamment la distribution d’aide alimentaire) comme un moyen d’organiser leurs camarades de travail dans une activité sortant du cadre de l’entreprise et de lutter activement contre les préjugés xénophobes, en allant distribuer l’aide aux familles immigrées des quartiers populaires.
Pour les militants de LO, cette activité inscrit les relations entre travailleurs « autochtones » et immigrés dans un rapport non politique et de dépendance qui pose plus de problèmes qu’il n’en résout. On a ainsi des travailleurs redevables à l’organisation qui leur apporte une aide matérielle d’un côté, et de l’autre des « autochtones » qui font leur bonne action. Cette façon d’entrer en contact avec des travailleurs immigrés sur la base d’une aide charitable plutôt que sur la base d’intérêts communs à défendre et de la nécessité de s’organiser en tant que travailleurs a suscité plus que de la perplexité parmi les camarades de LO.
À l’inverse, les militants de LC ont souligné leur désaccord sur la participation aux campagnes électorales en y présentant des candidats. Cette politique est défendue par les militants de LO comme un moyen de faire connaître leur organisation et ses idées auprès de leurs camarades de travail et dans la classe ouvrière en général, en profitant du petit regain d’intérêt pour la politique qui se produit à cette occasion. Plusieurs camarades de LC ont signifié leur incompréhension devant ce qu’ils considèrent comme une perte de temps sur le terrain « interclassiste » des élections. D’autres ont estimé qu’en se présentant, LO entretenait des illusions dans le système politique de la bourgeoisie.
Une partie de la discussion a souligné aussi la différence d’approche quant au militantisme dans les organisations syndicales. Les camarades de LO ont souligné que leur intervention dans les syndicats se fait dans une optique de combat contre la politique interclassiste des directions des confédérations, marquée par le réformisme et la concertation avec la bourgeoisie. Par contre, les militants de LC voient dans les syndicats actuels des instruments de classe où l’activité ne pose pas les mêmes problèmes et ne comporte pas les mêmes risques que le terrain électoral. De nombreuses discussions, en réunion mais aussi dans les moments informels de la rencontre, ont souligné cette différence d’approche des camarades des deux organisations dans l’activité syndicale.
Les instruments d’organisation politique de chacune des deux organisations ont également permis de confronter des pratiques et des objectifs différents. Les camarades de LO ont expliqué comment ils essayaient d’organiser des travailleurs autour d’eux au moyen d’une presse d’entreprise régulière. Il s’agit de dénoncer la politique gouvernementale et patronale en général, mais aussi de partir des multiples faits quotidiens que vivent les travailleurs pour dénoncer l’exploitation capitaliste. Pour cela, il est important qu’une partie de la rédaction, de la diffusion et du soutien financier repose sur les travailleurs de l’entreprise eux-mêmes. Les camarades de LC quant à eux privilégient des bulletins syndicaux ou une presse d’entreprise axés sur les analyses relatives à celle-ci ou au secteur de l’économie concerné. Ils insistent sur la vente du journal de l’organisation à la porte de l’entreprise et sur le fait d’entraîner leurs camarades de travail vers le cercle ouvrier local.
L’intervention dans les luttes a été un autre thème de discussion. À partir de l’exemple de la lutte contre la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois en 2013, dirigée par un comité de grève, les camarades de LO ont souligné quels sont leurs objectifs dans les luttes : saisir l’occasion donnée par une situation où les travailleurs sortent de la passivité pour qu’ils s’organisent et fassent l’expérience d’une lutte dirigée démocratiquement par eux-mêmes, en dépassant les limites des conflits gérés par les directions bureaucratiques des confédérations syndicales.
Malgré les nombreux désaccords révélés et les pratiques différentes, la rencontre a été riche et intéressante pour tous les camarades présents.
Les travailleurs de Lutte ouvrière