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- Lutte ouvrière n°1633
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Leur société
Dis-nous qui tu protèges, nous te dirons qui tu es !
Le journal Le Monde, daté du 24 octobre, a révélé comment depuis des années les dirigeants d'Elf arrosaient abondamment les chefs d'État d'un certain nombre de pays africains possédant des gisements de pétrole, pour s'assurer de leur coopération. A commencer par le président du Gabon, Omar Bongo. Dans les comptes d'Elf, ces sommes étaient discrètement qualifiées de " commissions ".
Ces chefs d'État-là ne sont d'aucune façon des " démocrates ". Ce sont des dictateurs qui n'hésitent pas, pour faire régner leur loi, et celle des puissances impérialistes dont ils sont les valets, à recourir à la terreur policière. Mais cela ne gênait pas les dirigeants d'Elf. C'est même pour cela qu'ils les payaient grassement. Et peu leur importait que ces chefs d'État, qui règnent sur des populations misérables, aient ainsi construit des fortunes personnelles considérables, si cela permettait aux gros actionnaires d'Elf de s'enrichir eux aussi.
Et Elf n'est qu'un exemple, que des enquêtes judiciaires récentes viennent de sortir - un peu - de l'ombre. Mais dans toutes les ex-colonies françaises, et depuis l'indépendance, c'est le même système qui règne. Sous de Gaulle, il y avait même à l'Elysée, en la personne de Foccart, un responsable en titre des affaires africaines, chargé de veiller, à coups de " commissions " de ce genre, d'opérations barbouzardes et d'interventions militaires, à la stabilité politique de ces dictatures qui permettaient aux grandes sociétés françaises de prospérer. Les choses sont devenues plus discrètes, mais pour l'essentiel le système demeure.
Alors, quelques politiciens hypocrites peuvent bien prendre l'air choqué parce que Jospin et Chirac ont réservé une réception exceptionnelle au président chinois. Le chef de l'État et son Premier ministre n'ont fait qu'observer avec la Chine la même attitude " réaliste " que celle qui est la leur vis-à-vis des dictatures africaines. Sauf que lorsqu'il s'agit du Gabon ou du Congo, on entend encore beaucoup moins de protestations.
Mais pour les hommes d'affaires français et les gouvernants à leur service, le profit passe avant tout. Nous en savons quelque chose, pour avoir vu depuis des années les uns supprimer avec l'aide des autres des millions d'emplois, pour augmenter encore les profits des entreprises, c'est-à-dire des gros actionnaires.
La seule manière de s'opposer à ces agissements des capitalistes, ce serait d'imposer la suppression du secret commercial, la suppression du secret bancaire, afin que chaque salarié, chaque employé puisse informer l'ensemble des travailleurs de ce qu'il a pu observer autour de lui.
Les capitalistes prétendent toujours qu'ils ne peuvent pas satisfaire les revendications des travailleurs parce qu'ils n'en ont pas les moyens, qu'ils licencient parce qu'ils y sont économiquement obligés. Mais ils se gardent bien d'ouvrir leurs livres de comptes, afin que chacun puisse vérifier d'où vient l'argent et où il va.
Mais tout cela, les salariés peuvent le savoir, et ils pourraient en informer toute la population si la loi ne protégeait pas les patrons de leur curiosité. Il a fallu à la justice des années d'enquête pour que quelques lumières soient jetées sur la manière dont Elf arrosait les chefs d'États africains. Mais il y avait certainement au sein de la société des dizaines d'employés qui connaissaient chacun quelques éléments de la vérité, et qui auraient pu très vite reconstituer le puzzle, si on leur en avait donné les moyens.
Alors bien sûr, on ne peut pas compter sur le gouvernement pour abolir de lui-même toute cette législation qui couvre les agissements des gros capitalistes d'un voile opaque. Mais cela ne veut pas dire que le monde du travail soit désarmé, car les droits qui lui sont reconnus sont avant tout une question de rapport de force, et un rapport de force, cela peut se modifier.
Et c'est précisément à renverser le rapport de force entre le patronat et les travailleurs au bénéfice de ces derniers que tous les militants de la classe ouvrière doivent s'atteler dans la période qui vient, s'ils ne veulent pas voir les travailleurs continuer à faire éternellement les frais du système.
Éditorial des bulletins d'entreprises du 25 octobre 1999