En Grande-Bretagne, le groupe français Vivendi est connu pour transporter chaque jour des centaines de milliers de banlieusards londoniens dans les trains antiques, malodorants et chers de sa filiale Connex. C'est à ce titre qu'il a réussi à faire l'unanimité contre lui, aussi bien des usagers que des salariés, lors d'une grève de 24 heures de roulants, le 25 janvier.

Depuis 1996, Connex exploite en effet les deux compagnies régionales privatisées qui desservent la région située entre Londres et la côte sud - soit 25 % du trafic passager britannique et plus de la moitié du trafic banlieue du Grand Londres. Peu après la privatisation, Connex s'était déjà fait remarquer en réduisant le nombre de ses conducteurs. À tel point qu'on avait même vu des sit-ins spontanés d'hommes d'affaires en costumes trois-pièces fulminant à force d'attendre leurs trains annulés.

Par la suite, les choses étaient rentrées dans l'ordre, au moins du point de vue des passagers. Même si les retards n'avaient pas plus diminué que les cahots des wagons, au moins la plupart des services antérieurs avaient été rétablis aux heures de pointe.

Mais pour les salariés de Connex, on ne peut pas en dire autant. Quatre ans plus tard, on en est arrivé à un point où, avec la disparition des anciennes règles de sécurité, il n'y a pratiquement plus de limite à la " flexibilité " des horaires. Pour les conducteurs, en particulier, les pauses jadis obligatoires ont disparu. Le maximum de conduite continue, qui était de 6 heures, est passé à 12 heures avec une " tolérance " de fait de 15 heures en cas de " problèmes techniques " sur les voies (ce qui est fréquent). Les jours de récupération, eux aussi obligatoires dans le passé, sont aujourd'hui en général des jours travaillés tout aussi obligatoires. De sorte qu'il n'est pas rare qu'un conducteur arrive à travailler treize jours d'affilée sur un roulement de deux semaines, entre 10 et 12 heures par jour - avec, à chaque instant, la charge d'assurer seul la sécurité de plusieurs centaines de passagers !

Cette dégradation des conditions de travail, les syndicats de cheminots y ont contribué depuis quatre ans en négociant chaque allongement des horaires contre une rallonge minime. Le résultat aujourd'hui, est que par exemple en plus des horaires démentiels, 30 % du salaire en moyenne des roulants est considéré comme une prime qu'ils ne touchent pas en cas de maladie et qui ne compte pas pour le calcul de leurs retraites complémentaires.

La coupe a fini par déborder à la fin décembre. Après une série de grèves sauvages ponctuelles, déclenchées par des mesures de transferts arbitraires, le syndicat des roulants a fini par se résoudre à organiser une série de grèves de 24 heures dont la première a eu lieu le 25 janvier. Pour l'occasion, Connex n'a rien ménagé : lettres individuelles menaçant de licenciement immédiat quiconque participerait à la grève, campagne de placards publicitaires dans toute la grande presse. Rien n'y a fait. Le jour dit, non seulement les trains ne sont pas sortis des dépôts, mais les caméras de télévision ont eu bien du mal à trouver les banlieusards furieux qu'elles cherchaient - ceux-ci étaient sagement restés chez eux. Il faut dire qu'après les trente morts de Paddington, en octobre dernier, les compagnies privatisées comme Connex n'ont guère la sympathie des usagers. Et pour une fois, même Blair, l'ami des grands trusts, n'a pas jugé bon de condamner la grève.

Du coup, Connex a reculé. En une seule journée de grève les roulants auront obtenu l'intégration de la totalité de leur salaire et la refonte des roulements sur la base d'une semaine moyenne de 35 heures. Il reste bien d'autres revendications en suspens, à commencer par de nouvelles embauches. Mais après avoir ainsi mesuré leur force, les cheminots de Connex connaissent maintenant la voie à prendre. Et peut-être ne seront-ils pas les seuls.