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Leur société
L'industrie à plein régime : Fabius et le "bon usage des statistiques"
Selon l'enquête de conjoncture industrielle publiée par l'INSEE le 3 novembre, les entreprises manufacturières françaises tourneraient aujourd'hui à plus de 88% de leurs capacités, un record absolu depuis 1990. Mais faut-il vraiment s'en étonner, quand on pense au nombre d'usines fermées et d'emplois supprimés au cours de la dernière décennie ? Quoi qu'il en soit, la même enquête poursuit en estimant que 41% des patrons de ces entreprises diraient aujourd'hui avoir atteint le maximum de leurs capacités de production, soit 2% de plus qu'en juillet dernier.
De là à conclure que la croissance économique serait "bridée" par l'incapacité de la production à suivre la demande, il n'y avait qu'un pas que le ministère des Finances de Fabius a eu vite fait de franchir. Ainsi, d'après Le Monde, on en serait à estimer à Bercy qu'"on a eu au premier semestre un rythme de croissance de 3% alors qu'on aurait pu avoir 4%". Comme si cela allait de soi ! Car rien ne dit qu'il existe une demande insatisfaite de produits manufacturés sur le marché, sauf peut-être... la boule de cristal de Fabius.
Mais qu'importe. Ce qui compte pour les experts de Bercy, c'est de faire dire aux chiffres ce qui arrange le ministre. Et le fait de pouvoir parler d'une croissance "bridée" permet de suggérer au passage que, grâce à la politique du gouvernement, la reprise économique est à portée de la main et qu'il suffit de l'"encourager" à prendre forme.
Or justement c'est là que ce "bon usage" des statistiques devient particulièrement utile à Fabius. Car il lui permet d'expliquer par exemple qu'il faut éviter à tout prix de limiter la capacité de produire des entreprises par une application trop stricte des mesures contenues dans la loi Aubry sur les 35h. D'où par exemple sa proposition de reculer l'application des dispositions sur les heures supplémentaires pour ce qui est des PME. D'où aussi l'opposition de Fabius à une revalorisation des salaires des fonctionnaires - sous le prétexte pour le moins hypocrite que le fait de pousser ainsi à la hausse les coûts salariaux des entreprises réduirait leur capacité d'augmenter leur production.
Or il n'est pas difficile de voir ce que cachent les chiffres de l'enquête de l'INSEE. Depuis plusieurs années, comme le montre une autre enquête gouvernementale - publiée, celle-là, par la Banque de France - le temps hebdomadaire d'utilisation des équipements augmente. Et les travailleurs n'ont pas besoin d'enquête officielle pour savoir que, dans bien des usines, on fait de moins en moins de travaux de maintenance, à la fois pour faire des économies de salaires et pour éviter d'interrompre la production. Au lieu d'investir dans de nouvelles machines, le patronat "fait suer le capital", pour employer cette cynique formule à la mode. Mais pas seulement les machines, aussi les hommes. Car la même enquête de la Banque de France montre qu'en parallèle le recours au travail en équipe sous toutes ses formes, y compris de nuit, a augmenté.
Bref, si la production a augmenté malgré la chute considérable des effectifs, ce n'est pas parce que les patrons ont investi mais parce qu'ils usent leurs machines jusqu'à la corde et qu'ils crèvent leurs ouvriers au travail. Et le fait qu'ils en arrivent aujourd'hui à un tel niveau d'utilisation de leurs capacités de production reflète avant tout cette absence d'investissements depuis des années.
Alors, que Fabius ne vienne pas dire qu'en faisant cadeau aux patrons des heures de repos compensateurs prévus par la loi Aubry, ou en les aidant à maintenir les salaires au plus bas, ils investiront plus. Cela fait des années que les gouvernements successifs noient le patronat sous les cadeaux et subventions diverses tandis que les salaires diminuent. Mais ce n'est pas pour autant que les patrons ont investi. Ils se sont bornés à en tirer de plus gros profits, qu'ils se sont aussitôt empressés de placer sur les marchés financiers.
Ce que propose Fabius, c'est ni plus ni moins de donner au patronat les moyens d'aller plus loin dans la politique qu'il mène depuis déjà des années et à laquelle il doit l'augmentation considérable de ses profits - c'est-à-dire plus loin dans l'exploitation de la classe ouvrière.