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Tribune de la minorité
Les contes de Lang ne font pas les bons amis
Annoncé en grande pompe mercredi 15 novembre, le plan pluriannuel de programmation de l'Education Nationale a décidément l'allure d'un ballon de baudruche. Sans doute parce que le ministre concerné, en bon pédagogue, est aussi un amateur de bonnes fables, comme celle de la grenouille qui se prenait pour un boeuf...
Et quel boeuf ! 185 000 enseignants recrutés sur cinq ans et 33 200 emplois crées sur trois ans (enseignants et non-enseignants). Regardons de plus près. Dans l'enseignement secondaire, compte tenu des départs en retraite, il devrait y avoir selon les chiffres officiels 14 900 emplois d'enseignants crées d'ici 2003. Mais si on déduit les mesures destinées à résorber la précarité (en transformant des emplois déjà existants en emplois statutaires) et celles destinées à résorber une petite partie des heures supplémentaires, il ne resterait que 2 900 créations nettes d'emplois, un chiffre bien modeste et malgré tout supérieur à ceux annoncés dans le primaire (2 400 après avoir déduit les emplois de stagiaires) et dans le supérieur (1 700).
Par quelque bout qu'on le prenne, le boeuf aux hormones version Lang se réduit comme peau de chagrin. Les 2 400 postes prévus dans le premier degré suffiront à peine à assurer le développement des langues vivantes ou les décharges de classe promises aux directeurs (inévitables puisqu'il n'y a plus de volontaires...). Le ministère continuera donc comme par le passé à recourir aux listes complémentaires des concours (sans formation) et aux personnels précaires pour assurer les autres manques. Dans le secondaire, le nombre de postes ouverts aux concours externes de recrutements des profs sera de 16 000 en 2003 contre 13 590 en 2000, mais il y en avait 20 000 il y a six ans... La précarité aura encore de beaux jours devant elle.
En début d'année, 10 500 contractuels et vacataires ont été recrutés (pour la plupart dès le mois de juin) afin de donner à la rentrée une allure un peu moins chaotique. Les autres suivent en cours d'année pour assurer les remplacements. Ces personnels, encore plus précaires que les maîtres-auxiliaires, ne seront pas concernés par les mesures de résorption de la précarité (de même que les 65 000 emplois-jeunes utilisés pour toutes sortes de tâches). Mais ils seront encore bien utiles pour gonfler les effectifs sans lesquels il n'est pas possible d'assurer l'encadrement des diverses mesures annoncées par ailleurs (aides individualisées, travaux pratiques, etc.).
Tant de bruit pour annoncer 7 000 postes d'enseignants supplémentaires sur trois ans relève de la mauvaise plaisanterie. En ajoutant 7 675 créations nettes d'emplois de personnels médico-social et d'ATOS (les agents technique, ouvriers et personnels de service), le total est en effet bien réduit au regard des besoins qui on été exprimés au cours des récents mouvements de l'Education Nationale. En additionnant ici et là un demi poste d'infirmière ou de conseiller d'orientation, 2 ou 3 postes d'ATOS et 3 ou 4 postes d'enseignants par établissement du secondaire, on arrive vite à un total de 100 000 postes à créer pour résoudre les besoins les plus pressants. Un chiffre certes considérable mais qu'il convient de reporter aux 800 000 emplois déjà existants.
Jack Lang a le sens du bluff. Ce n'est pas seulement la page Allègre qui serait tournée (tout en poursuivant ses "réformes" au rythme "d'une annonce tous les quinze jours" comme l'a affirmé - enthousiaste - le nouveau ministre). C'est toute la politique d'austérité mise en place par la gauche dès 1982 qui serait revue et corrigée. Une "nouvelle politique" en quelque sorte, grâce à la "cagnotte", une "rupture avec le dogme du gel de l'emploi public" comme aiment à le répéter les syndicats pour justifier leur inaction. A quelques mois des élections municipales, et en vue des présidentielles, c'est toute la gauche politique et syndicale qui s'est mise d'une certaine façon en ordre de bataille.
Fabius a beau répéter qu'il n'est pas "un comptable borné et même carrément droitier" (Le Monde, jeudi 13 novembre), le budget qu'il prépare est pourtant carrément semblable. La priorité reste bien la réduction des déficits publics, et comme il faut financer des dizaines de milliards de francs de cadeaux supplémentaires aux entreprises et aux familles aisées (sous forme d'allégements d'impôts), les services publics (particulièrement utiles pour la population défavorisée) resteront à la portion congrue, et donneront même l'exemple du maintien de l'austérité salariale.
Avec quatre milliards de francs (coût réel des mesures annoncées par Lang), le gouvernement aimerait bien pouvoir donner le change. Cela suffira-t-il ? Il y a aussi des grenouilles qui se transforment en vaches enragées... et à force de nous en faire bouffer, ce gouvernement pourrait bien tomber sur un os.