Même réformée la justice restera injuste pour les moins riches12/01/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/01/une-1696.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Même réformée la justice restera injuste pour les moins riches

Différents dispositifs accompagnant la «réforme de la justice» entrent en application au 1er janvier de cette année. Parmi eux la mesure censée toucher le plus grand nombre est la mise en place d'un juge des libertés et de la détention chargé de décider seul des demandes de mises en détention, formulées par les juges d'instruction dans le cadre des affaires qui leur sont confiées. Mais cette mesure, qui, selon le gouvernement qui l'a proposée, a été prise en vue de renforcer les «droits des justiciables», ne s'adresse pas à tous de la même façon. Comme l'ensemble du système judiciaire, encore une fois, elle vise d'abord à prendre en compte les attentes et les intérêts des plus fortunés.

Dès le départ, les discussions qui ont présidé à la mise en place de cette réforme de la détention provisoire ont été une course à l'hypocrisie. La gauche comme la droite se sont retrouvées d'accord pour procéder à la remise en cause des «pouvoirs extraordinaires du juge d'instruction», qui seul peut décider de l'incarcération ou non d'une personne.

Déjà Toubon, ministre de la Justice dans le gouvernement Juppé, avait voulu limiter ces pouvoirs. Et s'il y a eu une telle unanimité dans la classe politique, c'est que ce qui la préoccupe, ce n'est pas la mise en détention provisoire avant jugement de milliers de personnes accusées, à tort ou à raison, de petits délits. Non, le scandale pour eux est la mise en détention provisoire ces dernières années d'un nombre toujours plus grand de gens de leur monde, hommes politiques et hommes d'affaires, dans tout ce qui touche à la délinquance financière sous toutes ses formes.

Et pourtant, malgré la multiplication des affaires, bien peu des gens de ce milieu se retrouvaient jetés en prison par les juges d'instruction. Et quand cela arrivait, la mise en détention était souvent réformée, car elle était, et restera encore demain, soumise au contrôle de toute la superstructure de la justice, chambre d'accusation des cours d'appel, Cour de cassation, dont les juges sont la plupart du temps issus du même milieu favorisé que ces délinquants financiers. Ces délinquants respectables bénéficiaient, en outre, d'une armada d'avocats grassement payés, ce n'est pas l'argent qui manque, à leur disposition pour contester les moindres détails des procédures en cours.

Seule une toute petite minorité des gens issus de ces milieux, même poursuivis pour des affaires qui portaient sur des centaines de millions de francs, se retrouvaient sous les verrous, et moins encore y restaient, quelques jours, une semaine ou deux, libérés alors par les cours d'appel en échange du paiement d'une caution. Ce n'est pas l'option qui était offerte par exemple au jeune de 16 ans qui pouvait se retrouver incarcéré pendant plusieurs mois en préventive pour une simple bousculade avec un flic ou un contrôleur dans un train.

Mais même cette situation discriminatoire en faveur des privilégiés, c'était encore trop «d'humiliations» potentielles pour des gens qui étaient peut-être des délinquants, certes, mais qui se considèrent comme l'élite du pays.

En réalité la nouvelle procédure ne changera pas grand-chose. C'est un juge «expérimenté» issu de la direction des tribunaux de grande instance, qui décidera s'il doit agréer ou pas la demande de mise en détention d'un prévenu, assisté ou pas d'un avocat. Inutile de dire que selon son rang, sa fortune et ses appuis, un prévenu ne sera pas considéré de la même façon. Surtout que, dans le même temps, le contentieux sur les procédures en cours a été élargi, ce qui offrira des moyens supplémentaires d'échapper aux poursuites, ou au moins de les retarder notablement, à tous ceux qui auront les moyens de se payer les avocats les plus compétents et les plus chers, c'est-à-dire aux hommes d'affaires, aux dirigeants d'entreprise ou à la classe politique qui leur est liée, haute classe et haute pègre. Bref le milieu qui compte dans cette société !

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