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- Lutte ouvrière n°1713
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Editorial
L'éditorial d'Arlette Laguiller : Il n’est plus temps de pleurer, ni de supplier, il faut leur faire peur
On n'en finirait plus d'énumérer les licenciements collectifs, les fermetures d'entreprises qui se succèdent depuis deux semaines et qui sont annoncés pour les semaines à venir. Et rien ne dit que cela s'arrêtera là.
Aujourd'hui, tout travailleur est un licencié en puissance car les actionnaires veulent toujours plus. Il leur faut des bénéfices, encore des bénéfices, toujours des bénéfices. Non seulement des bénéfices en augmentation, mais des bénéfices supérieurs à ceux de leurs concurrents. Sinon ces actionnaires vendent leurs actions pour acheter celles qui montent.
Et on le voit, le meilleur moyen qu'ont ces messieurs du capital pour faire monter leurs actions, c'est de programmer de plus en plus de licenciements, car plus ils produisent avec moins de travailleurs, plus ils empochent. D'où l'augmentation des cadences, l'intensification du travail même dans les emplois qui peuvent apparaître les plus protégés, comme dans les bureaux, les services publics, ou même les administrations.
Les sages-femmes n'accouchent pas encore les bébés à la chaîne. Mais là aussi il faut accoucher plus de mamans avec moins de sages-femmes. Et dans les maternités privées c'est pire que dans les maternités publiques.
L'automobile est le seul secteur qui paraît protégé, à l'heure actuelle, contre les licenciements. Mais pas contre la chasse aux temps morts, la suppression des pauses, l'intensification du travail et l'augmentation des accidents.
Mais que demain la Bourse fléchisse, et les milliers d'intérimaires qui travaillent dans l'automobile seront licenciés, à moins que ces messieurs de Renault ou de la famille Peugeot préfèrent garder les jeunes intérimaires et balancer les travailleurs de plus de 50 ans.
Tout le monde sait qu'ils en sont capables.
Les propriétaires, les actionnaires, les dirigeants de ces entreprises sont des salauds sans coeur et sans entrailles.
Alors, la question qui se pose est : «Est-ce que le monde du travail va se laisser faire indéfiniment ?»
Ne pas se laisser faire, c'est interdire les licenciements. C'est réquisitionner les entreprises qui font des profits et qui osent licencier quand même.
Il faut dire «halte» à la dictature des actionnaires. Il faut commencer par réquisitionner les profits car, pour ne citer que Danone, rien qu'avec un an de ses profits on pourrait payer les 1 500 travailleurs menacés de licenciement jusqu'à leur retraite.
Alors, pourquoi protéger les actionnaires, et pas les travailleurs? Pourquoi, à la dictature des actionnaires, n'opposons-nous pas la démocratie du monde du travail? Le gouvernement de Lionel Jospin ne le fait pas, et ne le fera pas. Il dit que c'est impossible et propose seulement un peu de pommade sur le désespoir de ceux qui sont jetés à la rue. Nous ne l'accepterons pas toujours, et il est urgent de réagir.
Le Parti Communiste proteste un peu contre l'attitude du gouvernement, mais il ne cherche pas à le contraindre. Il dit qu'il ne peut pas quitter le gouvernement. Mais qui parle de cela ? Sans l'appui des députés communistes, Lionel Jospin n'aurait pas de majorité. Alors, c'est à lui de choisir s'il préfère passer le pouvoir à la droite, ou s'il se met dans le camp des travailleurs.
Mais croire à cela, c'est croire à des contes pour enfants.
Lionel Jospin est dans le camp des actionnaires contre les travailleurs.
De premières réactions du monde du travail sont envisagées le mardi 22 mai. La CGT appelle à une journée nationale d'actions de tous les travailleurs, quelle que soit leur branche professionnelle ou leur situation, qu'ils soient menacés ou pas dans l'immédiat de licenciement. Elle appelle à des grèves limitées ou de 24 heures, à des manifestations partout en France et à tous les types d'action possibles. Il faut que les travailleurs répondent à cet appel, et jugent sévèrement les syndicats qui ne s'y rendraient pas. Pour sa part Lutte Ouvrière y appelle sans réserve.
Il est prévu que cette journée ne restera pas sans lendemain, car le samedi 9 juin plusieurs organisations politiques, dont le Parti Communiste, Lutte Ouvrière, et quelques autres, ainsi que des organisations syndicales, dont en particulier les sections syndicales de Danone, d'AOM et de Marks et Spencer, appellent à une manifestation centrale, nationale, à Paris. Ce doit être la deuxième étape d'une mobilisation générale du monde du travail. Cette deuxième étape doit préparer une suite encore plus forte, car il faut menacer le patronat et le gouvernement dit de gauche, et aussi les hommes politiques de droite qui sont à l'affût des défaillances de la gauche, mais ne feraient rien pour les travailleurs, car ils sont inféodés à la bourgeoisie et au patronat, quand ils ne sont pas actionnaires eux-mêmes.
Seules des mobilisations successives, et de plus en plus puissantes, de tous les travailleurs feront suffisamment peur à tous ces gens-là pour qu'ils sacrifient un peu de leurs profits, et que ce soit leurs plans de licenciements qu'ils mettent dans leur poche.