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Dans le monde
Grande Bretagne (suite)
En fait c'est toute la privatisation de l'électricité britannique qui est mise en accusation par les difficultés de British Energy et les menaces qu'elles font peser sur la sécurité de la population comme sur la fiabilité de l'approvisionnement.
Cette privatisation a commencé en 1990, par l'éclatement de l'ancien équivalent britannique d'Electricité de France, le CEGB, en quatre types de compagnies privées. Douze ans et un certain nombre de réformes supplémentaires plus tard, le secteur se présente aujourd'hui ainsi :
Sur ces quatre catégories, les deux premières bénéficient d'une position de monopole national ou régional, tandis que dans les deux dernières les entreprises sont en concurrence. En tout donc cela fait 77 entreprises, sans parler des sous-traitants qu'elles emploient, qui sont liées en permanence par des montagnes de contrats et dont les litiges alimentent une armée d'hommes de loi.
Aux dires de ses concepteurs, la privatisation devait faire baisser les tarifs à la consommation. Il n'en a rien été. Et quoi d'étonnant à cela, puisqu'elle a créé quatre étages intermédiaires, tous bien décidés à faire le maximum de profits pour leurs armées d'actionnaires ?
Mais c'est le gouvernement travailliste qui a parachevé l'édifice ébauché par Thatcher. D'abord parce que c'est lui qui a introduit la concurrence chez les détaillants et les producteurs en 1998-1999. Mais surtout, parce qu'en 2001 il a introduit un dispositif très complexe, comparable aux systèmes électroniques boursiers, qui permet non seulement d'acheter et de vendre de l'électricité en temps réel, mais surtout de spéculer sur l'évolution de son prix, prix qui par ailleurs peut varier suivant l'endroit et le moment où elle est produite et selon la façon dont elle doit être livrée à l'acheteur. On a vu apparaître une nouvelle catégorie d'opérateurs qui interviennent sur ce marché dans le seul but de spéculer - droit que les instances régulatrices leur reconnaissent sans complexe, pourvu qu'ils disposent des finances nécessaires pour appuyer leurs paris.
Non seulement cette spéculation électrique ouvre de nouvelles sources de profits parasitaires aux entreprises qui opèrent sur ce marché, mais elle favorise les grandes entreprises qui peuvent y acheter au meilleur prix l'énergie dont elles ont besoin.
Ce marché spéculatif de l'électricité, dont Blair n'a même pas jugé bon de parler à l'époque, est présenté par ses défenseurs comme une version " mieux régulée " des méthodes pratiquées déjà aux États-Unis. Mais en fait, il a ajouté à un système déjà ébranlé par la multiplication des participants et leur avidité (qui s'est traduite en particulier par une dégradation des installations et de la qualité du courant) un élément d'instabilité dont les consommateurs font déjà les frais sur leurs factures (car les distributeurs s'assurent par avance contre les pertes qu'ils peuvent subir en faisant monter les tarifs) et qui menace de bien des façons l'approvisionnement.
Par exemple, contrairement au système qui existait précédemment, ce marché de l'électricité ouvre la possibilité aux producteurs de réduire leur production sans avoir de manque à gagner, voire même en augmentant leurs profits : il suffit pour cela qu'ils aient acheté par avance une certaine quantité d'électricité sur le marché, à un moment où elle était moins chère. Si par hasard trop de producteurs se livrent à ce petit jeu simultanément, il est évident qu'il peut en résulter des coupures de courant au moment où cette électricité doit être livrée. C'est ce qui s'est produit en Ecosse après la mise en veilleuse des réacteurs de British Energy.
Et puis, il ne devient plus aussi vital pour les détaillants d'avoir le maximum de clients, car ils peuvent très bien se contenter d'un nombre restreint de " bons " clients qui paient régulièrement leurs factures et compléter leurs revenus par des opérations spéculatives sur le marché. C'est ainsi qu'aujourd'hui des foyers qui ont été déconnectés pour non-paiement ont souvent du mal à trouver un autre détaillant prêt à les approvisionner, ou alors se voient imposer un " sur-tarif " pour compenser le " risque " qu'ils représentent pour le détaillant.
Voilà de quoi donner à réfléchir sur l'avenir que réserve, en France, le projet de privatisation d'EDF !