- Accueil
- Lutte ouvrière n°1810
- Les pieds nickelés en corse
Leur société
Les pieds nickelés en corse
Les deux compères Raffarin et Sarkozy se sont rendus en Corse pour vendre devant les élus locaux (à l'exception des nationalistes, qui boycottaient la rencontre) leur projet de consultation par référendum pour ou contre la " collectivité territoriale unique déconcentrée ". Ce qui signifie, en langage décodé, la suppression des deux actuels départements et leur remplacement par une entité administrative unique.
Après avoir pris l'avis des notables de l'assemblée de Corse, le Parlement national sera donc saisi d'un projet de loi qui autorisera une consultation de la population de l'île appelée aux urnes le 6 juillet prochain.
En réponse à quelqu'un qui lui faisait remarquer que le " non " pouvait l'emporter, le Premier ministre a eu cette réponse aux accents lyriques sur le " beau risque de l'avenir de la Corse ". Mais la cause est plus prosaïque. Il s'agit, nous explique-t-on, de réduire les frais administratifs et de gagner, peut-être, en efficacité, ce qui n'est pas garanti puisque le nouveau dispositif maintiendra en pratique deux sous-entités (des " conseils territoriaux ") correspondant plus ou moins aux deux actuels départements.
Quant au mode d'élection de la prochaine assemblée territoriale, le ministre de l'Intérieur a indiqué qu'il y avait des points non négociables : le respect de la parité hommes-femmes, un vote qu'il dit être à la proportionnelle mais qui comme dans d'autres modes de scrutin de la métropole assurera une " prime à la majorité ".
Tout cela s'inscrit en fait dans la continuité des consultations entamées par le précédent gouvernement, celui de Lionel Jospin, qui avait négocié avec les différentes composantes de la vie politique corse, et notamment les nationalistes, pour tenter de mettre un terme à la violence en prenant en compte une partie des revendications de ceux-ci. Le principe d'une assemblée territoriale unique était d'ailleurs une suggestion des nationalistes, de même que l'élection à la proportionnelle qui pourrait leur donner un rôle d'arbitre dans la future assemblée (ils représentent peu ou prou 15 % des suffrages).
Les représentants du gouvernement se suivent donc, ne portent pas forcément la même étiquette politique mais viennent vendre un produit voisin, sinon identique. La droite, quand elle était dans l'opposition, avait brocardé la tentative de Jospin. Ayant enfilé à son tour les habits du Premier ministre, Raffarin reprend donc à son compte ce qu'il critiquait hier encore. Cela illustre une fois de plus une certaine continuité des gouvernants successifs. Comme leurs prédécesseurs, Raffarin et Sarkozy ne seraient pas fâchés d'obtenir un armistice avec les nationalistes, avec le bénéfice politique qui va avec.
Pour les Corses, si ce nouveau statut voit le jour, ce ne sera jamais que le quatrième statut qu'on leur propose en vingt et un ans. Il a été, en effet, déjà modifié à trois reprises, en 1982, 1991 et en 2002. Accessoirement, la droite s'apprête à défaire le système des deux départements qu'elle avait elle-même mis en place en 1975, ce qui fait grincer quelques dents dans ses rangs. Mais ce ne sera peut-être en pratique qu'une demi-suppression puisqu'on annonce, par exemple, que les plaques d'immatriculation automobile 2A et 2B seront maintenues.
De toute façon, si ces différents statuts, issus pour l'essentiel de la décentralisation, auront pu faire la carrière, et donc le bonheur, de quelques politiciens locaux, ils n'ont jusqu'à présent jamais permis de régler les principaux problèmes auxquels se trouve confrontée la grande majorité de la population.
Les politiciens locaux, comme les représentants du gouvernement qui viennent périodiquement en pélerinage en Corse pour tenter d'apaiser les nationalistes ont passé beaucoup plus de temps, ces trente dernières années, à discuter d'usines à gaz institutionnelles qu'à faire quelque chose de sérieux pour améliorer la vie quotidienne de la population, c'est-à-dire créer des emplois, mettre en place des infrastructures pour le bien de tous, développer les services publics, etc. Et sur ce plan, malheureusement, il n'y a pas d' " exception corse ", les habitants de l'île sont logés à aussi mauvaise enseigne que le reste de la population de l'Hexagone.