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Tribune de la minorité
Mai 68, Mai 2003 ?
"Ce n'est pas la rue qui gouverne" avait déclaré Raffarin. En attendant, la rue a parlé. Massivement. Plus d'un million de travailleurs ont défilé dans toute la France ce 13 mai. Des chiffres sans doute pas très éloignés d'un certain 13 mai 68 qui avait été le signal de la grève générale il y a 35 ans. A l'époque, "la rue" scandait contre de Gaulle: "Dix ans, ça suffit!". Aujourd'hui, on en serait plutôt à "20 ans ça suffit!", 20 ans de licenciements, de remises en cause des droits du travail, des acquis sociaux, d'atteintes à la sécu, aux retraites... 20 ans pendant lesquels les Mauroy, Rocard, Balladur, Juppé, Jospin ou Raffarin se sont succédé pour gouverner contre la rue.
Toujours est-il que ce mardi, la rue, à défaut de gouverner encore, a massivement et clairement déjoué l'entreprise de division gouvernementale en clamant l'unité des travailleurs du privé et du public: 37 ans ½ pour tous! Public, privé, tous ensemble!
Faisons le bilan. Du côté de la rue, un million de travailleurs mobilisés, solidaires, en colère. Du côté Raffarin: intox et "communication". Luc Ferry envoie 800000 exemplaires de son bouquin aux profs, que ces derniers, en grève, lui renvoient dans des sacs poubelle. Raffarin et Fillon achète aux frais des contribuables des pages publicitaires dans tous les journaux. Si l'on s'en tient au rapport des forces révélé par ce 13 mai, la balle est à l'évidence du côté des travailleurs. Il ne suffirait pas de grand chose pour que la rue gouverne, ou du moins qu'elle empêche Raffarin de gouverner. Et ce printemps 2003 n'est pas propre à la France. Des manifestations du même ordre de grandeur, sur le même sujet, ont eu lieu en Allemagne, en Autriche et en Espagne.
En 1995, après des manifestations répétées, c'est la généralisation de la grève des cheminots ainsi que sa contamination aux postiers et aux instits, qui en quelques semaines a fait remballer ses projets à Juppé. Un cran nettement au-dessus, c'est une grève générale qui en mai 1968 a contraint le patronat, sous de Gaulle, à fortement augmenter les salaires et presque doubler le smic de l'époque.
En ce mois de mai 2003, on pourrait bien en être là. La grève générale, que les militants les plus conscients appelaient de leur voeux depuis longtemps, est à l'ordre du jour. Et l'on ne part pas de rien. Cela fait des semaines que la grève de l'Education Nationale, toutes catégories confondues, s'est progressivement étendue à une bonne partie du pays, à partir de minorités déterminées qui sont allées, sans se lasser, s'adresser directement à leurs collègues des autres lycées, en se donnant également pour objectif de faire au plus tôt la jonction avec les autres secteurs, du public comme du privé; et qui se sont données aussi leurs propres organisations, assemblées générales, coordinations ou comités de grève par départements, régions ou même nationale.
L'immense succès de la journée du 13 mai a forcément redonné confiance à tous les travailleurs. Ce succès pose la question de ses suites immédiates. Au moment où nous écrivons, en cette soirée du mardi 13 mai, nous ne savons pas encore si un nombre significatif des travailleurs vont lui donner une suite dès le 14 et rejoindre les enseignants dans un mouvement faisant boule de neige. C'est pourtant ce qu'il faudrait. Ce serait la logique naturelle de la situation.
Le seul véritable obstacle, c'est que Raffarin, du moins jusqu'à présent, disposait d'un joker: la bonne volonté des confédérations syndicales qui n'ont consenti -au demeurant sous la pression de la base- à appeler à cette grande manifestation unitaire, que pour mieux rejoindre dès le lendemain cette même table des négociations qui autorise Raffarin à prétendre qu'il gouvernera en dépit de la rue. Le langage de Thibault s'est un peu radicalisé (tout en ne manquant jamais de déclarer qu'il n'est pas contre "une réforme de retraites"). Mais il se garde bien d'appeler les travailleurs à reconduire leur grève le 14. A l'heure même où des milliers de cheminots se posent ouvertement la question de continuer la grève demain, le secrétaire général de la CGT cheminot menace de la grève reconductible... en juin. Blondel, quant à lui, déclare que la situation est désormais entre les mains... de Fillon, qui reçoit demain les syndicats! Quant à Chérèque, il milite carrément pour la "réforme". Du côté des dirigeants syndicaux, on continue donc de marchander des miettes et de programmer une énième journée d'action le 25 mai, comme s'il fallait rentrer sous terre pendant 12 jours, histoire de laisser Raffarin gouverner. Mais après tout, il n'est pas besoin de les attendre. La grève des enseignants s'est développée à partir de la base, et les fédérations ont dû suivre. Pour que la "rue" ait une chance de gouverner, mieux vaut qu'elle impose son propre rythme et qu'elle apprenne à diriger elle-même ses propres mouvements. Les chefs suivront, le "gouvernement" s'inclinera ou laissera la place, et les patrons auront enfin de sérieux sujets d'inquiétude. Nous n'en sommes pas forcément loin. Une première impulsion a été donnée.
Le 13 mai 2003,
Huguette CHEVIREAU
Convergences Révolutionnaires n° 27 (mai-juin 2003), bimestriel édité par la Fraction
Un dossier sur l'industrie de guerre et le trafic d'armes à l'heure de la mondialisation.
Éditorial: "Pour que la rue gouverne"
Des articles : Sur les grèves de l'Éducation nationale, le 32e congrès du PCF, les Sans-papiers ou la drôle de "victoire de la démocratie contre Le Pen", l'individualisation des salaires et leur régression, la situation du capitalisme américain, l'enjeu du pétrole en Algérie, la rage des sidérurgistes en Belgique.
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