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Editorial
Autoroutes à vendre et État vendu
L'État a engagé lundi 18 juillet l'opération de privatisation totale des trois plus grands réseaux autoroutiers français. D'après le ministre concerné, les quelque 11 milliards d'euros attendus de cette privatisation serviraient pour partie à diminuer le déficit public (essentiellement dû aux innombrables cadeaux que l'État fait aux grandes entreprises) et, pour le reste, à financer des infrastructures routières ou de rail et de ferroutage.
Les candidats repreneurs ont jusqu'au 22 août pour présenter leur candidature. Ce seront probablement de grosses sociétés, car il ne s'agit pas dans ce cas de vendre des actions à un public aisé, mais de les réserver à ceux qui ont une assise financière prouvée.
Mais pourquoi diable ces derniers n'avaient-ils pas construit eux-mêmes ces autoroutes ou ne réalisent-ils pas eux-mêmes ces grands travaux à venir? La réponse est simple: ils ne veulent pas prendre de risques. L'encaissement des péages des usagers, c'est l'assurance de profits évaluables à l'avance et immédiatement assurés. L'investissement dans de grands travaux, qui ne rapporteront que dans des années, ces sociétés préfèrent laisser l'État s'en charger, aux frais des contribuables! Bouygues, par exemple, qui serait très intéressé par la reprise des «Autoroutes du Sud de la France», après avoir encaissé le prix et les bénéfices de leur construction, voit cette opération d'un très bon oeil. Non seulement il pourra tondre les automobilistes aux péages, mais il a aussi de bonnes chances de se voir confier avec de bons profits la construction de tel ou tel ouvrage d'art. Double bénéfice donc, même si c'est avec l'argent qu'il aura versé à l'État que celui-ci le paie, et sans aucun risque.
Mais pour les usagers qui emprunteront ces autoroutes, le bilan a par contre toutes les chances d'être négatif, parce que la vocation première des groupes qui vont racheter le réseau autoroutier, ce n'est pas d'assurer les meilleures conditions aux voyageurs, mais de faire le maximum de profits. Et pour augmenter les profits, il y a deux solutions complémentaires: augmenter les tarifs et diminuer les frais de personnel.
Les tarifs n'augmenteront pas au-delà de ce qui avait déjà été décidé a déclaré le gouvernement. Mais jusqu'à quand? En 2005 peut-être, mais en 2006, 2007, et la suite...
Comment l'entretien des voies de circulation, des aires de repos, sera-t-il assuré? À quel prix le carburant sera-t-il vendu dans les stations services, si les loyers qu'elles versent aux sociétés d'autoroute augmentent? Et même si la vente de ces sociétés s'accompagne d'un cahier des charges précis, qui le fera respecter? Pas l'État, qui est de toute manière au service des possédants! On a vu avec l'exemple du tunnel sous le mont Blanc (qui était privatisé à 40%), où menait le mépris des règles de sécurité, et qu'il avait fallu une catastrophe pour qu'on se décide à prendre des mesures.
Pour justifier leurs énormes profits, les grandes sociétés capitalistes s'abritent derrière les risques financiers qu'elles prendraient. Mais en fait elles n'en prennent aucun. Quand il y a des risques à prendre, c'est l'État qui les prend le plus souvent. Ou alors on fait appel aux «petits porteurs», tels ceux du tunnel sous la Manche, qui se retrouvent plumés en cas de problème, pendant que les banques continuent à prospérer en encaissant les intérêts des sommes qu'elles ont prêtées.
Pour justifier les cadeaux qu'ils font au patronat, nos gouvernants parlent toujours de la nécessité d'encourager les «investisseurs». Mais la plupart du temps, les gros capitalistes n'investissent pas vraiment, ne cherchent pas à développer des industries nouvelles ou des services nouveaux. Ils se contentent de racheter clef en main des entreprises déjà parfaitement rentables, dont l'État a le plus souvent financé la mise en route. Ce qui se passe avec EDF, GDF ou les Autoroutes aujourd'hui est de toute évidence l'avenir de La Poste et de la SNCF.
C'est que plus le temps passe, plus le système capitaliste devient purement parasitaire, une sangsue qui vit sur le corps social, et qui finira, espérons-le, par crever un jour ou l'autre d'indigestion.
Arlette LAGUILLER
Éditorial des bulletins d'entreprise du 18 juillet