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- Lutte ouvrière n°1966
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Editorial
Après le 4 avril : L'heure n'est pas à la pause, mais à continuer la lutte!
La journée de grèves et de manifestations du 4 avril a remporté un incontestable succès, plus démonstratif encore que celle du 28 mars. C'est la réponse qui s'imposait après la décision de Chirac annoncée à la télévision vendredi 31 mars, de promulguer la loi contenant le Contrat Première Embauche, devenue dès lors applicable, même si Chirac a demandé aux patrons de ne pas y recourir. Chirac a refusé de retirer le CPE, retrait exigé pourtant par des millions de manifestants, soutenus par plus des trois quarts de l'opinion publique.
Chirac a affirmé qu'il tient compte "des inquiétudes qui s'expriment" et qu'il demandera au gouvernement de préparer "deux modifications de la loi sur les points qui ont fait débat". La période d'essai pourrait être réduite de deux ans à une année. Même ainsi, le CPE resterait un contrat précaire, reconnaissant aux patrons le droit légal pendant un an de mettre à la porte le jeune embauché comme ils veulent et quand ils veulent.
Chirac a affirmé aussi que, contrairement à l'actuelle formulation, "le droit du jeune salarié de connaître les raisons" de son licenciement "sera inscrit dans la nouvelle loi".
La belle affaire! À supposer que le gouvernement tienne les promesses de Chirac, le jeune pourra connaître les motifs de son licenciement, mais il n'aura pas pour autant les moyens juridiques de s'y opposer, même dans la faible mesure où cela est possible pour les CDI.
Même modifié, le CPE resterait un pas de plus dans la légalisation de la précarité. Le CPE et le CNE ne sont pas améliorables. Il faut qu'ils soient retirés!
Oh, les travailleurs sont de plus en plus nombreux à vivre en situation de précarité. Précarité pour tous ceux qui sont embauchés sous l'une ou l'autre de ces nombreuses formes de contrats précaires que tous les gouvernements de gauche comme de droite se sont ingéniés à inventer en prétextant chaque fois que c'était pour créer des emplois. Précarité pour tous les contractuels, auxiliaires, vacataires et autres stagiaires employés par l'État lui-même. Précarité pour les travailleurs, de plus en plus nombreux sur les chaînes de production, pris en tant qu'intérimaires et qui ont de moins en moins de chances de décrocher un CDI. Et combien sont ceux qui doivent survivre avec des missions d'intérim occasionnelles, de quelques jours, voire de quelques heures? Mais même la situation des travailleurs qui ont un CDI devient de plus en plus précaire car tous sont menacés par ces licenciements collectifs auxquels se livrent périodiquement les grandes entreprises, pour réduire leurs effectifs ici, pour délocaliser là, ou simplement pour faire grimper le prix de leurs actions en Bourse!
L'inacceptable dans le CNE et le CPE est que, par leur biais, le gouvernement légalise la précarité, lui donne une consécration juridique. Et si le CPE ne s'applique qu'aux jeunes de moins de 26 ans et le CNE aux salariés des petites entreprises, ils préfigurent ce que le patronat veut généraliser à tous.
Les freins légaux actuels aux licenciements ne sont pas bien puissants mais, avec la légalisation de la précarité, il n'y aura plus de frein du tout. Il ne faut pas accepter cela.
Les confédérations syndicales du monde du travail ont toutes reconnu que le CPE n'était pas négociable, qu'il fallait exiger son retrait pur et simple. Elles ont maintenu cette affirmation le 5 avril. Très bien, mais alors pourquoi avoir accepté de rencontrer les présidents des groupes UMP de la Chambre des députés et du Sénat, c'est-à-dire en fait les représentants d'un gouvernement avec lequel ils ont dit ne rien avoir à négocier, et qui plus est les rencontrer en ordre dispersé, chaque confédération à son tour, alors que justement l'unité du front syndical était une caractéristique majeure du mouvement? Pourquoi, contrairement à ce qui s'était passé au lendemain des manifestations précédentes, ne pas avoir annoncé ce que serait la prochaine étape de la lutte? Pourquoi donner de fait au gouvernement un délai, jusqu'aux vacances parlementaires du 17 avril, pour retirer le CPE? Pourquoi, si ce n'est parce que les directions confédérales, malgré leurs propos radicaux en apparence, sont prêtes à offrir au gouvernement, en échange de la reconnaissance de leur importance, un compromis qui lui permette de sauver la face?
Ce faisant elles prennent le risque de démobiliser travailleurs et étudiants justement au moment où leur mobilisation était la plus forte, où les chances de faire reculer le gouvernement étaient plus grandes que jamais. Les manifestations où travailleurs, étudiants et lycéens se retrouvaient côte à côte ont contribué à structurer le mouvement. Sortir de cette voie, c'est pousser le mouvement étudiant à s'orienter vers des actions minoritaires, avec le danger de s'aliéner la sympathie d'une population qui leur était largement acquise.
Le mouvement étudiant et lycéen va continuer, de toute manière. La contestation de la classe ouvrière doit elle aussi continuer à s'exprimer. Il n'y a aucune raison d'offrir à Chirac une pause dans un mouvement qui pouvait et qui peut encore l'emporter. Il faut que tous ceux qui depuis des semaines se sont retrouvés dans des actions contre le CPE et le CNE fassent entendre leur exigence de voir la lutte se poursuivre, sans discontinuer, jusqu'au retrait total du CPE et du CNE.