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Leur société
Contre la précarité : Une lutte qui concerne tous les pays
On entend chaque jour dans les médias des partisans du CPE et de l'augmentation de la flexibilité du travail affirmer que la France serait un pays "archaïque", où il existerait encore un droit du travail contraignant pour les patrons, et cela parce qu'il serait impossible d'y faire quelque "réforme" que ce soit.
Dans leur bouche, "réforme du droit du travail" signifie "possibilité illimitée de licenciement", comme "réforme du système des retraites" signifiait "augmentation de la durée de cotisation pour les salariés et baisse des pensions pour les retraités".
En Grande-Bretagne, en Allemagne, et ailleurs...
Les mêmes font mine de s'étonner du fait que les jeunes et les travailleurs protestent contre la légalisation de la précarité, alors que, d'après eux, partout ailleurs les salariés auraient depuis longtemps accepté ce genre de "réformes". Mais c'est un mensonge éhonté. En Grande-Bretagne, mardi 28 mars, un million et demi de travailleurs des services publics étaient en grève contre une "réforme" s'attaquant à leur système de retraite. Depuis plusieurs semaines, des salariés allemands se battent contre une "réforme" qui ferait passer leur temps de travail de 38h30 à 40heures par semaine. Les confédérations syndicales du Suède et d'Espagne elles-mêmes disent que, si leurs gouvernements respectifs essayaient de faire passer un contrat du type du CPE, elles auraient la même attitude que les syndicats français.
Le droit absolu de licenciement pendant deux ans, tel qu'il est inclus dans le CPE, est heureusement encore loin d'être le cas général dans les pays développés. L'ignorant, ou faisant semblant de l'ignorer, un présentateur du journal de TF1 a même affirmé sans frémir que le CPE existait en Allemagne sans que cela pose de problème particulier. Or, s'il existe bien en Allemagne un projet de faire passer la période d'essai de six mois à deux ans, Angela Merkel elle-même a déclaré qu'il valait mieux attendre, avant de le mettre en application, de voir si en France Villepin parvenait à ses fins.
Ce qui est vrai en revanche c'est que, dans tous les pays, les travailleurs subissent des attaques sur tous les aspects de leurs conditions de vie et de travail. Dans les pays, comme la France, où l'histoire a fait que certains droits des travailleurs sont écrits dans des lois, les attaques passent nécessairement par des "réformes" de ces lois. Dans les pays où de toute façon aucune loi ne protège les salariés, ce genre de "réforme" n'a pas lieu d'être. Mais, dans tous les cas, la situation des travailleurs se dégrade. Par exemple la proportion de travailleurs pauvres, c'est-à-dire vivant en dessous du seuil de pauvreté tout en ayant un emploi, augmente dans tous les pays développés, de même que la proportion de travailleurs ayant des contrats précaires. La précarisation de plus en plus grande du travail et la légalisation de cette précarité par le biais de contrats tels que le CPE font partie de cette offensive patronale continue.
L'indice de l'OCDE
L'OCDE, Organisation de coopération et de développement économiques, organisme tout à fait officiel et tout à fait patronal, a même inventé un indice de protection des emplois (moins le travail est "protégé", plus il est précaire), comme il y a un indice de protection des crèmes solaires. Selon elle, les USA et la Grande-Bretagne ont un indice très faible et le Portugal a l'indice le plus élevé. L'indice prend en compte la réglementation des formes d'emploi temporaire, les obligations applicables aux licenciements collectifs, la protection des emplois permanents contre les licenciements. Quand les patrons peuvent embaucher et licencier qui et quand ils veulent, individuellement ou collectivement, sans formalités juridiques, sans préavis et sans indemnités, l'indice est de zéro. Aux USA il est de 0,6; en France il est de 3 (notation de 2003). Et l'OCDE note "une certaine convergence entre les pays depuis vingt ans", convergence vers le bas, bien entendu.
Mais le fait que la situation des travailleurs se soit dégradée partout ne prouve pas que partout les travailleurs ont accepté cette dégradation sans se battre, et encore moins qu'ils l'ont approuvée. Elle ne prouve évidemment pas non plus que cette dégradation est obligatoire et inscrite dans les lois de la nature, comme la gravitation universelle. Cela prouve simplement que le rapport des forces a été favorable au patronat. Mais il peut aussi se renverser.
Une partie de la presse a rapporté que les gouvernements européens auraient été "excédés" par la lutte anti-CPE en France, son prétendu "archaïsme" et le fait qu'il n'y aurait qu'en France que la précarisation rencontrerait de telles résistances. Mais c'est faux. En réalité, les gouvernements sont surtout inquiets. Car ils savent bien que dans tous les pays les travailleurs cherchent à s'opposer aux attaques qui les visent. Ils savent aussi très bien que la lutte peut rapidement devenir contagieuse d'un pays à l'autre. Et c'est bien précisément ce qu'il faut souhaiter.