- Accueil
- Lutte ouvrière n°2037
- Il y a quarante ans : États-Unis - Les émeutes de Detroit en juillet 1967
Dans le monde
Il y a quarante ans : États-Unis - Les émeutes de Detroit en juillet 1967
Il y a quarante ans, la fin du mois de juillet 1967 était marquée dans plus d'une centaine de villes des États-Unis par le soulèvement de la population noire. C'est à Newark (non loin de New York) et surtout à Detroit (Michigan), capitale de l'industrie automobile, que ces véritables insurrections urbaines furent les plus puissantes.
Cet été 1967 était le quatrième au cours duquel des Noirs américains s'insurgeaient et affrontaient la police, la Garde nationale ou l'armée, et fut le point culminant de ces manifestations. C'était le signe visible de la radicalisation d'un mouvement qui avait débuté douze ans plus tôt pour exiger l'égalité des droits entre Noirs et Blancs.
De Newark à Detroit
À Newark, près de New York, les émeutes durèrent du 12 au 17 juillet 1967, transformant une ville de 400 000 habitants en un champ de bataille. Les autorités firent appel à la Garde nationale. Au total, il y eut 23 morts et 2 000 blessés. 1 500 Noirs furent jetés en prison et des engins blindés patrouillèrent la ville pour y ramener le calme. L'émeute s'étendit à plusieurs villes proches.
Une semaine plus tard, elle gagnait Detroit, ville jugée si prospère, y compris pour les Noirs, que les autorités locales s'étaient vantées qu'aucune émeute ne pouvait s'y produire. Avec 1,6 million d'habitants, dont 35 % de Noirs, Detroit était la cinquième ville des États-Unis. C'était aussi la capitale de l'industrie automobile.
Les affrontement éclatèrent dans la 12e rue, une rue où la population, majoritairement noire, s'entassait et où la densité de population était le double de celle du reste de la ville. Les affrontements durèrent du 24 au 28 juillet et dépassèrent en ampleur toutes celles que les États-Unis avaient pu connaître jusqu'alors. Elle touchèrent également les villes proches. On s'attaqua aux magasins, ce que la population, goguenarde, appelait « faire ses courses à l'oeil ». Des Blancs des quartiers pauvres, dont les conditions de vie n'étaient pas meilleures que celles des Noirs, se joignirent au mouvement. La production automobile des trois « grands » (Chrysler, Ford et General Motors) fut stoppée. Toute l'activité du centre-ville fut paralysée. Les manifestants s'affrontèrent avec les forces de l'ordre avec des pierres, des bouteilles vides, des cocktails molotov, et parfois des fusils. Il fallut la police, la Garde nationale, les chars et deux divisions de parachutistes qui avaient participé à la guerre du Viêtnam, en tout 20 000 hommes, pour reconquérir la ville, rue par rue. Au total, 4 000 personnes furent arrêtées, dont 10 % de Blancs. La répression fit 43 morts et 2 000 blessés. Il y eut 1 500 magasins pillés et 1 200 incendies. 2 000 bâtiments furent détruits. Les dégâts furent évalués à 7 milliards de dollars.
Une population noire exaspérée
En 1964, une nouvelle loi pour l'égalité des droits avait été adoptée, mais elle n'avait pas effacé les inégalités sociales, et notamment le fait que le chômage frappait deux fois plus les travailleurs noirs que les blancs. La population noire était d'autant plus exaspérée que la jeunesse noire payait un lourd tribut dans la guerre du Viêtnam.
Les racines de la révolte étaient à rechercher plus loin. C'est parce qu'ils appartenaient à une minorité opprimée que la majorité des Noirs américains étaient surexploités, devaient occuper les pires emplois, être les premiers licenciés et vivre dans des taudis. Mais c'est parce que la société est divisée en classes qu'existent les emplois mal payés, le chômage et les logements insalubres.
Depuis 1963, une partie du mouvement noir cherchait à aller plus loin que là où les dirigeants modérés, comme Martin Luther King, entendaient le canaliser. Il se trouva des dirigeants radicaux, comme Malcolm X et d'autres, pour faire planer la menace d'une destruction de la société par les Noirs si on n'en finissait pas avec le racisme. Mais aucun d'entre eux n'arriva vraiment à conclure qu'il fallait abattre le capitalisme, et mobiliser pour cela les ouvriers, y compris les ouvriers blancs.
La lutte des Noirs américains réussit finalement à faire disparaître les traits les plus voyants du racisme. Les politiciens blancs gérant les villes comportant une importante communauté noire furent remplacés par des politiciens noirs. En même temps un plus grand nombre de postes de fonctionnaires, de professions libérales ou d'encadrement des entreprises s'ouvrirent à la petite bourgeoisie noire et à d'autres minorités.
Quelques concessions
Il y eut aussi des concessions faites aux travailleurs. Les minorités ne furent plus uniquement condamnées aux emplois les pires et les plus mal payés. Les portes de bien des entreprises s'ouvrirent aux ouvriers noirs. À Detroit, après les émeutes, les firmes automobiles ouvrirent des bureaux d'embauche au coeur du ghetto. Les salaires augmentèrent. Les plus défavorisés purent bénéficier de systèmes d'aide et d'assistance sociale. On créa des tickets d'alimentation et l'aide médicale gratuite. On développa des services publics dans les municipalités.
Ces concessions ne mettaient certes pas fin au capitalisme. Elles ne changeaient même pas fondamentalement le sort des plus pauvres. Cependant, il fallut pour les imposer cette insurrection des couches les plus exploitées, sous la pression d'une colère accumulée, révolte qui avait semblé assez menaçante pour que les responsables politiques cherchent à désamorcer la bombe qu'ils avaient contribué à mettre en place.