Syrie : l’armée turque fait la guerre à Daech... et surtout aux Kurdes31/08/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/09/2509.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Syrie : l’armée turque fait la guerre à Daech... et surtout aux Kurdes

Mercredi 24 août, l’armée turque est entrée en Syrie, chars d’assaut et chasseurs F16 à l’appui. Après avoir aidé pendant des années l’organisation État islamique (Daech), le pouvoir turc s’en prend à ses anciens protégés. Eux-mêmes ne se privent pas d’organiser des attentats sanglants sur son territoire, comme le 20 août dans la ville de Gaziantep. Mais les dirigeants turcs ne cachent pas que leur action vise en fait bien plus les milices kurdes syriennes que Daech.

Il y a quelque temps, au moment où les grandes puissances, comme les États-Unis et la France, misaient encore sur la chute du dictateur syrien Bachar al-Assad, la Turquie avait poussé ses propres pions en favorisant les milices djihadistes, dont celles de Daech.

Renversement d’alliances

Depuis, ces mêmes grandes puissances, pour tenter de sortir d’un chaos syrien qu’elles avaient engendré, ont changé leur fusil d’épaule. Elles ont lancé une coalition anti-Daech et tentent de trouver une solution politique avec le régime d’Assad et ses alliés. Ce revirement des États-Unis a eu du mal à passer auprès de leurs alliés traditionnels dans la région, dont la Turquie. Et si le président turc Erdogan avait alors officiellement cessé de soutenir ouvertement Daech, il l’avait laissé faire passer des miliciens, des armes et du financement par la frontière turco-syrienne. Et aujourd’hui encore, quand l’armée turque s’en prend à Daech en Syrie, les milices syriennes qui l’accompagnent, pour occuper le terrain à sa place, regroupent des miliciens du groupe Ahrar al-Sham, dont certains responsables viennent de Daech.

Parallèlement, depuis presque deux ans, les États-Unis ont soutenu de plus en plus les milices kurdes syriennes, seules troupes au sol qui se soient montrées capables de faire reculer Daech. Or ces milices, les Unités de protection du peuple (YPG), sont liées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), implanté parmi les populations kurdes de Turquie et bête noire du pouvoir d’Ankara depuis des dizaines d’années.

Ce sont justement les succès militaires des milices kurdes qui ont précipité l’intervention turque. Car Erdogan ne veut pas que les différentes régions qu’elles dominent le long de la frontière turco-syrienne fassent leur jonction. En occupant une zone jusqu’alors sous contrôle de Daech, l’armée turque leur fait obstacle. Et, depuis le 27 août, des supplétifs de l’armée turque s’affrontent même directement aux miliciens kurdes autour de la ville de Jarabulus.

La politique de l’impérialisme américain

Alors que leurs deux alliés s’affrontent, les États-Unis tentent de garder le contrôle de la situation. Le jour où l’armée turque franchissait la frontière syrienne, le vice-président des État-Unis Joe Biden était à Ankara. Après avoir déclaré que les États-Unis voulaient aider « les Turcs à débarrasser la frontière de Daech », il a sommé les milices kurdes de se retirer sur la rive orientale de l’Euphrate, c’est-à-dire de reculer de plusieurs dizaines de kilomètres vers l’est, faute de quoi « elles ne pourront en aucune circonstance recevoir le soutien américain », a-t-il dit, reprenant à son compte l’objectif affiché de l’intervention turque, nommée Bouclier de l’Euphrate.

Suite aux premiers affrontements avec les Kurdes, des dirigeants officiels américains ont appelé à la dés-escalade entre leurs deux alliés. Mais les États-Unis ne veulent surtout pas mécontenter le côté turc et, bien qu’une quarantaine de civils aient été tués par les supplétifs de l’armée d’Ankara, l’envoyé spécial d’Obama chargé de la coalition contre Daech n’a rien trouvé d’autre à faire qu’un… tweet expliquant que les affrontements, dans des zones où l’EI n’est pas présent, étaient inacceptables et source d’inquiétude.

Enfin, après la tentative avortée de coup d’État du 15 juillet en Turquie et les purges qui ont suivi, l’offensive en Syrie est pour Erdogan l’occasion de reprendre la main sur l’armée. Il veut aussi imposer la Turquie comme partie prenante d’un éventuel règlement du conflit syrien, poser ses conditions et faire savoir qu’il ne voudra pas d’une zone autonome kurde à sa frontière, tenue par les alliés du PKK. Il semble déjà avoir obtenu que les États-Unis, mais aussi la Russie et l’Iran avec lesquels il a renoué, sans oublier le régime d’Assad, ne fassent plus rien qui puisse favoriser l’indépendance des Kurdes.

Comme malheureusement bien des fois dans son histoire, le peuple kurde se voit lâché par les puissances voisines, ou plus lointaines, qui avaient semblé le soutenir.

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