Hambourg – 1923 : la défaite de l’Octobre allemand01/11/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/11/2883.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 100 ans

Hambourg – 1923 : la défaite de l’Octobre allemand

Le 23 octobre 1923, à Hambourg, plusieurs centaines de travailleurs révolutionnaires se lançaient dans une insurrection qui allait marquer le dernier acte de la révolution allemande.

Entre novembre 1918 et mars 1919, s’ils avaient abattu la monarchie et mis fin à la guerre, les travailleurs d’Allemagne n’étaient pas parvenus à l’emporter. La première étape de la révolution s’était ainsi conclue sur son écrasement par l’alliance de la social-démocratie au pouvoir et de l’état-major, et l’assassinat de centaines de militants et de ses principaux dirigeants, à commencer par Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.

Cette première défaite ne mit pas fin à la situation révolutionnaire. Au contraire, le pays connut ensuite plusieurs années de grèves et d’insurrections. Dans cette Allemagne d’après-guerre, rien n’était réglé : tandis que les commandes de guerre avaient multiplié la fortune des grandes familles capitalistes telles que les Krupp, les quartiers ouvriers sombraient dans une misère noire. « De nombreux enfants, même en bas âge, n’ont jamais une goutte de lait. Ils viennent à l’école le matin, sans avoir rien mangé de chaud. (...) Beaucoup n’ont pas de chemise », écrit en 1922 un bourgmestre de Berlin.

En 1919, le traité de Versailles avait imposé à l’Allemagne de payer à ses rivaux victorieux des indemnités exorbitantes, auxquelles ses dirigeants tentaient d’échapper. Le 11 janvier 1923, au prétexte que le gouvernement allemand avait du retard dans la livraison de bois et de charbon, la France et la Belgique décidèrent d’occuper militairement la Ruhr, le poumon industriel du pays. Cela suscita partout une vive indignation, que les groupes d’extrême droite tentèrent de récupérer en multipliant sabotages et attentats, et aggrava la crise économique. L’inflation s’envola. La petite bourgeoisie fut frappée à mort, tandis que le pouvoir d’achat des classes populaires s’effondrait. Les capitalistes de l’industrie, au contraire, profitant de salaires et de charges réduits à rien, pouvaient baisser leurs prix pour exporter et réaliser ainsi des bénéfices colossaux en quelques jours.

La crise ainsi ouverte radicalisa de larges pans de la classe ouvrière : pendant les mois qui suivirent l’occupation de la Ruhr, les émeutes de la faim et les grèves, voire les saisies d’entreprises par les ouvriers, se multiplièrent.

Le KPD, le Parti communiste d’Allemagne, fort de 220 000 membres, publiait alors 38 quotidiens et détenait depuis peu la majorité dans plusieurs syndicats importants. Il connut un tel afflux et progressa au point qu’à l’été 1923 il influençait la majorité du prolétariat, organisant et dirigeant plus de 900 milices ouvrières, les Centuries prolétariennes. Il animait également nombre de comités d’usine. Ces institutions élues, devenues légales, regroupaient les travailleurs combatifs sur leur lieu de travail, remplaçaient le syndicat quand il était défaillant et allaient même jusqu’à contrôler les prix et organiser les milices ouvrières. De fait, elles jouaient un rôle similaire à celui des soviets de la révolution russe.

Début août, plusieurs millions de travailleurs répondirent à leur appel et entrèrent en grève, poussant en trois jours le chancelier, l’homme d’affaire Wilhelm Cuno, à la démission.

La classe ouvrière avait montré sa force et semblait aux portes du pouvoir. Pour le prendre, avec le soutien de l’Internationale communiste et sur ses conseils, le KPD prépara une insurrection pour novembre. Il entraîna les Centuries prolétariennes encadrées par des officiers soviétiques, mobilisa ses militants, dont des dizaines de milliers passèrent à la clandestinité. Un plan fut établi : pour constituer des bastions, faciliter l’armement du prolétariat et ainsi la prise du pouvoir dans l’ensemble du pays, le KPD entra dans les gouvernements des Länder de Saxe et de Thuringe, dirigés par la gauche du Parti social-démocrate. Ces gouvernements devaient armer les ouvriers, désarmer les formations bourgeoises, établir un contrôle ouvrier sur la production et appeler à la formation d’un gouvernement ouvrier en Allemagne.

Cependant, à la veille de l’insurrection, les dirigeants sociaux-démocrates refusèrent d’appeler à la grève générale, qui devait en être le prélude, conduisant la direction du KPD à reculer et à tout annuler.

Seuls les communistes de Hambourg, qui n’avaient pas été informés du contrordre, déclenchèrent l’insurrection. Sans grève, sans préparation politique, sans manifeste, quelques centaines de combattants des Centuries prolétariennes pauvrement armés se lancèrent à l’assaut des casernes et des postes de police, persuadés à tort que toute l’Allemagne ouvrière se soulevait. Isolée, l’insurrection se prolongea trois jours, avant de finir écrasée. Le bilan était lourd : plusieurs dizaines de militants communistes tués, et près de 1 400 arrêtés. Et surtout, en ayant décommandé l’insurrection, le KPD avait laissé passer une occasion historique, qui n’allait plus se représenter.

Accusée par la direction de l’IC d’avoir failli à sa tâche, la direction du KPD fut démissionnée quelques semaines plus tard. Elle avait évidemment une lourde responsabilité. Force est de constater que, si la révolution allemande de 1923 bénéficiait de l’existence d’un parti révolutionnaire dont bien des membres étaient prêts à mourir pour leurs idées, celui-ci n’avait pas encore pu former une direction à la hauteur de la tâche. S’appuyant sur l’exemple de l’Octobre allemand, Trotsky appelait d’ailleurs l’année suivante l’IC à sélectionner au sein des partis communistes « un personnel dirigeant, de façon qu’ils ne flanchent pas au moment de leur révolution d’Octobre ».

Mais la direction allemande n’était pas seule responsable. En 1923, après des années de guerre mondiale puis de guerre civile, l’isolement de la révolution russe, l’arriération du pays et bien d’autres facteurs avaient déjà conduit à l’épuisement de la classe ouvrière et à l’émergence d’une couche de bureaucrates envahissant tous les rouages de l’État ouvrier. Lénine étant définitivement écarté par la maladie, le nouveau pouvoir faisait tout pour écarter Trotsky et tous ceux qui, au nom des idéaux bolcheviques, s’opposaient à l’évolution en cours de la direction de l’État et de l’Internationale. Au moment où la révolution frappait de nouveau à la porte de l’Allemagne, les dirigeants de l’Internationale, dont son président, Zinoviev, alors au pouvoir avec Staline, contre Trotsky, ne surent ou ne purent aider les ouvriers allemands à l’emporter.

Avec le recul, cette défaite presque sans combat marquait un tournant catastrophique. Elle signait non seulement la fin de la révolution allemande, mais l’arrêt de la vague révolutionnaire en Europe initiée par la révolution russe de 1917. Elle allait ouvrir en Allemagne la voie à l’arrivée de Hitler au pouvoir, dix ans plus tard. En démoralisant le prolétariat soviétique, elle contribua aussi à la défaite à venir de l’Opposition regroupée autour de Trotsky contre la dégénérescence bureaucratique de la révolution russe.

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