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Tunisie
colère à Gabès contre la pollution
Le 21 octobre, à Gabès, ville portuaire du sud tunisien, après deux semaines de manifestations et d’émeutes, des milliers d’habitants sont redescendus dans la rue pour réclamer la fermeture d’une usine chimique polluante.
Depuis le 9 septembre, les fuites émanant de ce site ont intoxiqué trois cents personnes, cent vingt ont dû être hospitalisées, dont une trentaine d’élèves du collège de Chott Essalem, où est installé le Groupe chimique tunisien (GCT), géré par l’État. Des malades intoxiqués gardent des séquelles neurologiques et certains restent paralysés. L’hôpital, confronté à des pénuries d’oxygène, a du mal à faire face à cette catastrophe.
Depuis plusieurs décennies, GCT transforme en engrais le phosphate, principale richesse naturelle du pays, au mépris de la santé des travailleurs et de la population. Pour un impératif de profit, l’entretien des infrastructures a été négligé, saccageant l’environnement et provoquant des fuites de gaz qui asphyxient régulièrement les habitants. Le mélange de soufre et d’ammoniac rejeté dans l’air par l’usine explique sans aucun doute l’explosion du nombre de cancers aux alentours. Le raffinage du phosphate, qui exige d’énormes quantités d’eau, a aussi tari les 200 sources qui irriguaient la palmeraie. Chaque jour, une boue noire chargée de métaux lourds contamine les sols et nappes phréatiques et se déverse au fond d’une mer autrefois très poissonneuse.
À l’appel du collectif Stop pollution, la population a protesté à de multiples reprises. Elle pensait avoir été entendue, lorsqu’en 2017 le gouvernement a annoncé le déménagement du site, mais la décision n’a jamais été appliquée. En 2019, l’actuel président, Kaïs Saïed, qui se présentait alors comme un candidat antisystème, a suscité l’espoir en promettant de régler le problème mais, six ans plus tard, la désillusion est totale.
Le président vient de reconnaître publiquement qu’un « assassinat écologique » avait lieu à Gabès, comme s’il n’était pas responsable des activités de GCT. En effet, il a prévu de quintupler la production d’engrais d’ici à 2030, sans se soucier de protéger la santé des travailleurs ni celle de la population de Gabès et du bassin minier de Gafsa. Aussi, à Gabès, depuis le 10 octobre, la contestation ne faiblit pas, attisée par la répression et l’arrestation de centaines de protestataires. Le syndicat étudiant, les supporters de foot se sont joints au mouvement ainsi que l’union régionale du syndicat UGTT, qui appelait à la grève générale du mardi 21 octobre.
La population est excédée de voir que l’essor de la production de phosphates et de fertilisants ne profite qu’aux grands groupes internationaux et à une poignée de riches tunisiens. Le sentiment d’injustice est partagé par l’ensemble des classes populaires tunisiennes, comme en témoigne le succès du hashtag « Nous sommes tous Gabès ». C’est le même sentiment qu’exprime actuellement la jeunesse marocaine et que les dirigeants cherchent à étouffer par les mêmes moyens.