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la guerre en ukraine
Russie : Poutine, sa guerre et ses comparses occidentaux
À Moscou, des voitures arborent un Z, cette lettre peinte en grand sur les blindés et transports de troupe russes en Ukraine. Mais là où elle apparaît le plus, c’est sur les bus, les trams ainsi que sur les engins de chantier, des véhicules qui dépendent peu ou prou de l’administration.
Cela n’a rien d’étonnant. Depuis six semaines qu’il a lancé ses troupes sur l’Ukraine et sa population, Poutine s’efforce que la population russe ne voie la réalité qu’en kaki et n’entende qu’un son de cloche : celui des fameux carillons du Kremlin.
Chaque soir, les journaux télévisés déroulent la litanie des communiqués officiels sur « l’opération spéciale » en Ukraine. Les médias indépendants du pouvoir, eux, ont dû se taire sous la pression des tribunaux. Leurs journalistes restent certes sur YouTube ou Tweeter ; et les réseaux sociaux, lorsqu’ils n’ont pas été fermés tels Facebook ou Instagram, donnent une information non censurée. Mais cela reste une goutte d’eau dans un océan de mensonges.
Une partie de la population n’a nulle sympathie pour Poutine, sa guerre et son cortège d’horreurs. Mais elle sait, pour l’avoir vérifié, que le pouvoir ne tolère aucune critique. Les rares qui s’y sont essayés dans les hautes sphères l’ont payé de leur mise à l’écart, et à l’ombre parfois. Les tribunaux frappent systématiquement les 15 000 manifestants que la police a arrêtés au début de la guerre, comme d’autres contestataires qui avaient signé une pétition, collé une affiche ou diffusé un tract dénonçant cette guerre et le régime. Les condamnations tombent : jusqu’à près d’un mois de salaire pour les plus chanceux, quinze jours de prison pour ceux qui le sont moins, et des peines bien plus lourdes quand l’infraction retenue est le dénigrement des forces armées, voire la trahison de l’État. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que beaucoup ne parlent de la situation qu’avec des personnes de confiance, de crainte « d’en prendre pour quinze jours ».
Et il y a l’effet des sanctions occidentales sur la situation sociale et économique. De grandes entreprises étrangères ont fermé, ou le prétendent, mais continuent de faire des affaires. D’autres, russes ou étrangères, mettent à profit la situation pour imposer du chômage, comme dans l’automobile. Partout l’activité a ralenti fortement, avec comme conséquence une chute du pouvoir d’achat des salariés, alors que le taux de change du rouble a dévissé et que les prix flambent, surtout dans les grandes villes et sur des produits de base comme le sucre.
Mais, alors que les grandes puissances multiplient les sanctions contre la Russie, prétendant que cela doit la forcer à négocier, la situation ainsi créée joue plutôt en faveur de Poutine.
Ces sanctions frappent en effet plus lourdement le Russe de la rue, ou le « migrant » tadjik, moldave ou ukrainien venu gagner quelques roubles en travaillant en Russie, que l’oligarque ou le haut bureaucrate que sa fortune met à l’abri du besoin pour longtemps. Or la population constate que l’Occident la met dans le même sac que le régime. Sanctionnée par les gouvernants européens et américains pour une guerre fratricide qu’elle n’a pas voulue et dont elle ne voit pas ce qui pourrait y mettre un terme, elle se trouve rejetée dans le camp de « son » État et de « ses » privilégiés, les nantis de l’oligarchie et de la haute bureaucratie. C’est cela qui la pousse, pour un temps que l’on peut espérer le plus bref possible, mais avec plus d’efficacité que toute la propagande officielle, à faire bloc avec ce régime dont elle est la première victime depuis des décennies.
Il faut prendre avec des pincettes les sondages qui affirment, tel celui du Centre panrusse d’opinion publique (pro-Kremlin), que 74 % des Russes soutiennent l’opération militaire de Poutine, dont la cote de popularité aurait ainsi grimpé de 62 % à 80 %. Mais les sondages du centre Levada, indépendant du Kremlin, font le même constat.
La cause en est bien moins la politique de Poutine que celle des États membres de l’OTAN. Pour l’heure, malgré les milliers de jeunes conscrits et engagés tombés en Ukraine et malgré, à l’arrière, la baisse du niveau de vie, « l’opération spéciale » de Poutine le sert auprès de la population bien plus qu’elle ne le dessert.
La situation lui a permis de resserrer les rangs dans les milieux du pouvoir et de la richesse. Dans un climat de citadelle assiégée, il a fait taire ceux des magnats des affaires et des dirigeants qui le critiquaient. Mais il y a quand même eu des défections, telle celle d’Anatoli Tchoubaïs, parti se réfugier en Turquie. Ancien vice-Premier ministre et père des réformes de marché ayant livré l’économie soviétique à une foule de pillards de la bureaucratie et précipité le pays dans le chaos et la misère, Tchoubaïs est un des dirigeants russes les plus haïs. Nul doute que le chef du Kremlin cherchera à mettre à son actif sa fuite et celle de quelques autres pour essayer de renforcer son emprise politique et policière sur la Russie et ses habitants.
Les dirigeants des États occidentaux, qui font la guerre à Poutine avec la peau des Ukrainiens, ne sont pas mécontents de montrer qu’ils sont les maîtres véritables du monde. Mais cela ne les gêne pas non plus que le maître du Kremlin conforte son régime, alors que la guerre pourrait l’ébranler au risque de déstabiliser l’ordre mondial. Tandis que les négociations vont leur train en coulisses, peu importe aux dirigeants occidentaux, à Poutine et à ses oligarques, ou à Zélensky et aux siens, que dans leur bras-de-fer périssent en masse des soldats russes, des soldats et des civils ukrainiens.
C’est cet enfer que ces dirigeants et leur système font vivre aux populations de l’ex-Union soviétique. Un autre avenir serait possible, on en a eu une illustration dans le passé de cette région, il y a un siècle. Au cours de la révolution de 1917 et de la guerre civile qui suivit, les travailleurs, les soldats, les paysans de Russie et d’Ukraine avaient su s’unir contre leurs propres dirigeants, leurs propres exploiteurs. Cette leçon vaut plus que jamais aujourd’hui, non seulement pour les peuples de cette région, mais pour ceux du monde entier.