Outreau : Des magistrats sans reproche14/06/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/06/une1976.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Outreau : Des magistrats sans reproche

L'Inspection générale des services judiciaires a conclu, de son enquête sur les agissements des magistrats qui ont instruit l'affaire d'Outreau, qu'il n'y avait pas lieu de procéder à des poursuites disciplinaires à leur égard, car «ils n'avaient pas commis de fautes». Il faut dire que ce sont des magistrats qui ont jugé d'autres magistrats

Cette «police de la justice» a enquêté sur les décisions et les mécanismes qui ont conduit la justice à maintenir plusieurs années en prison et envoyer en cour d'assises des personnes dont elle a fini par reconnaître l'innocence. Ces six magistrats enquêteurs n'ont pas pu nier l'évidence, en particulier que la «durée des détentions provisoires» a aggravé de façon considérable le préjudice «qui en est résulté pour les personnes». Ils recommandent à l'avenir une limitation de l'usage de la détention provisoire. Mais ils n'ont pas trouvé de «fautes» individuelles, qui auraient justifié une sanction à l'encontre d'un ou de plusieurs de leurs collègues. Or une soixantaine «d'auxiliaires de la justice», comme on dit, ont joué un rôle dans l'affaire, et ils auraient été en situation, à un moment ou à un autre, d'intervenir pour éviter ou écourter ce calvaire.

À la question d'un journaliste demandant si son rapport n'est pas un peu corporatiste, le président de cette Inspection générale a répondu: «Je ne rentrerai pas dans cette polémique. Nous sommes des magistrats, nous n'avons voulu ni obéir ni faire plaisir à qui ce soit.» Ce qui, évidemment, ne répond pas à cette question, qui ne date pas de l'affaire d'Outreau. Les membres de l'appareil d'État, qu'ils soient élus, hauts fonctionnaires ou magistrats, bénéficient d'une présomption d'innocence, et celle-ci tourne vite à la complaisance. On a vu par exemple, lors du scandale du sang contaminé, comment la justice peut déclarer des responsables politiques irresponsables de leurs actes qui ont des conséquences catastrophiques pour la population, dès lors qu'ils ne l'ont pas fait exprès. En revanche, pour des gens issus de milieux populaires, sans relations, la justice n'a pas les mêmes états d'âme.

Dans le cas d'Outreau, le ministre de la Justice a décidé de passer outre les conclusions du rapport d'inspection qu'il a lui-même commandé. Il a demandé au Conseil supérieur de la magistrature de prendre des sanctions. Mais même si une telle procédure s'engageait, on peut parier qu'elle n'aurait pas beaucoup d'effet. Car cela n'empêcherait pas, au quotidien, la justice d'être, comme les autres corps du haut appareil d'État, à l'abri du jugement et du contrôle de la population, dont ils peuvent quasi impunément décider du sort.

Mais si cette justice peut exister sans avoir à rendre des comptes, ou si peu, ce n'est pas, comme on veut nous le faire croire, que son indépendance soit nécessaire à sa sérénité. Car si elle est incontrôlable par les justiciables qui peuvent en être les victimes, par contre ces magistrats sont liés par mille liens aux riches, aux notables, à ce petit monde qui régente toute la société. Et, pour une affaire d'Outreau qui finit par faire scandale, combien d'autres passent chaque jour inaperçues!

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